REVUE DES PROGRAMMES SANTÉ POUR LA PRÉSIDENTIELLE 2024
Les conditions pleines d’incertitudes, dans lesquelles, la prochaine élection présidentielle a été préparée, n’ont pas été favorables à des discussions programmatiques fécondes. Néanmoins, nous avons pu disposer des programmes de 17 des 19 candidats retenus (tous sauf les deux proches de la coalition Diomaye).
Dans tous ces documents, des aspects ayant trait à la Santé et à la protection sociale ont été développés, de manière plus ou moins étendue (de quelques lignes à plusieurs pages).
Ce qui frappe, de prime abord, c’est que sur les 17 programmes de santé passés en revue, un seul a développé, de manière explicite une véritable vision, qui est « d’arriver, dans la durée d’un mandat (5 ans), à un Sénégal où tous les citoyens, peu importe leurs moyens et où ils se trouvent sur le territoire national, puissent accéder à des prestations de santé de qualité (curatives, préventives, promotionnelles et adaptatives) et selon leurs besoins ».
Cette vision est axée sur le crédo, consistant à placer la santé des populations au cœur du développement, de façon systémique, intégrée et participative. Elle implique la nécessité d’actions cohérentes, concertées et efficaces sur l’ensemble des déterminants sociaux de la santé.
Nous avons ensuite essayé de soumettre les programmes des candidats à une grille d’analyse basée sur les six piliers du système de santé, à savoir : leadership et gouvernance de la santé; systèmes d’informations sanitaires ; prestations de services ; ressources humaines ; financement de la santé ; produits et technologies médicaux essentiels
Tous les candidats s’accordent sur le constat de la nécessité de procéder au renforcement du système de santé, qui devrait permettre un accès permanent des usagers à des soins de santé de qualité. Pour ce faire, la plupart des programmes ont pris en compte trois piliers du système que sont les ressources humaines, les produits et technologies médicaux essentiels, ainsi que les prestations de services, y compris les infrastructures et équipements. Cela se traduit par d’ambitieux programmes de constructions, d’équipements de recrutements de personnels supplémentaires, de renforcement de capacités, y compris des formations en ligne comme ACLS (Advanced Cardiologic Life Support), PHTLS (Pre-Hospital Trauma Life Support) …etc.
La majorité des candidats milite aussi pour la promotion et l’intégration de la médecine traditionnelle dans le système sanitaire national.
Toutes ces activités sont certes utiles, voire incontournables, mais sont loin d’épuiser la problématique de la crise de notre système sanitaire.
Un autre pilier important du système de santé est constitué par le recueil et la gestion des informations sanitaires. Ce volet a aussi figuré dans quelques programmes, mais plus sous l’angle du dossier patient informatisé (DPI), des entrepôts des données de santé (EDS) ou de la surveillance épidémiologique que par rapport aux exigences de redevabilité des différents acteurs du système socio-sanitaire et d’identification des obstacles financiers à la Santé.
Très peu de programmes ont mentionné un des piliers fondamentaux du système sanitaire que se trouve être le leadership, qu’on pourrait définir comme l’aptitude à tracer des perspectives claires et résolues vers un futur souhaitable, eu égard aux innombrables défis sanitaires de l’heure. Dans notre pays, ce leadership est entravé par l’immixtion intempestive de préoccupations politiciennes ou de conditionnalités de partenaires techniques et financiers dans la définition de nos options stratégiques en matière de politique sanitaire.
Dans le même ordre d’idées, la bonne gouvernance socio-sanitaire, dont l’absence est au cœur de la déliquescence de notre système sanitaire, est évoquée superficiellement dans trop peu de programmes. Il figure paradoxalement dans celui du candidat de la Coalition au pouvoir, principal artisan des pratiques prédatrices dans le secteur de la Santé et de l’action sociale. De fait, on y observe la violation fréquente des dispositions du code des marchés publics, des conflits d’intérêt à la pelle, dont le scandale des fonds COVID-19 resté impuni jusqu’à nos jours, constitue la dernière illustration.
Il n’a pas échappé aux rédacteurs des programmes des candidats à la prochaine présidentielle sénégalaise, que la stratégie du financement adéquat constituait le nœud gordien du renforcement du système sanitaire national. On note, en effet une augmentation progressive de la part des contributions des ménages dans le financement de la Santé, en lien étroit avec la modicité du budget public dévolu au Ministère de la Santé, tournant autour de 8%, presque la moitié des 15% recommandés par le conférence d’Abuja en 2001. De plus, les efforts pour disposer d’un cadre performant en vue d’harmoniser les interventions entre le Gouvernement et les Partenaires Techniques sont restés vains, jusque-là. Les allocations des collectivités territoriales au secteur de la Santé et de l’Action sociale restent très insuffisantes, eu égard au fait que le transfert de compétence est censé avoir été acté depuis la loi de la décentralisation de 1996 et confirmé par l’acte III de la décentralisation de 2013.
Certains candidats préconisent, dans leurs programmes de renforcer les nouveaux modèles de financement, par le prélèvement de taxes sur les produits nocifs à la santé (alcool tabac, pollution), les ressources pétrolières et gazières.
Si un consensus national prévaut pour la consolidation de la couverture maladie universelle, presque tous les candidats sont obligés de reconnaitre la faiblesse de ses performances, en pointant sur des pistes de solutions.
Il s’agit de la rebaptiser couverture sanitaire universelle en prenant plus en compte les aspects préventifs. Il y a également le remplacement de l’actuelle Agence nationale de la couverture maladie universelle (ANACMU) par une caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) avec une utilisation optimale des possibilités qu’offre le numérique. Un candidat propose la création d’un Service de Gestion Sanitaire et Social (SGSS) en fusionnant la délégation générale à la protection sociale et l’ANACMU tandis qu’un autre plaide pour la mise en place, aux niveaux national et régional de comités de pilotage pour une multisectorialité et une redevabilité indispensable à la santé pour tous, objectif de la Couverture sanitaire universelle.
Les différents régimes qui se sont succédé au pouvoir dans notre pays n’ont pas développé sur les questions sanitaires, une approche, qui rompe radicalement avec l’héritage colonial marqué par la prédominance de l’approche curative, la structuration verticale, et une distanciation par rapport aussi bien à nos parcours de soins traditionnels qu’aux dynamiques communautaires et populaires.
Par ailleurs, notre pays ne dispose pas, à l’heure actuelle, de politique de santé, à proprement parler car, depuis août 1989, date d’élaboration du premier document de politique de santé, ce dernier n’a jamais été réactualisé. Entretemps, plusieurs lettres de politique sectorielle ont été élaborées, ignorant l’existence du document initial. Aussi les gouvernements successifs se sont-ils arc-boutés dans la confection et l’élaboration de plans et de programmes (PTA, PNDSS, PDIS, PIS, PRDS et PDDS…), qui constituent des outils d’opérationnalisation d’une politique. Or point de plan sans programme et point de programme sans vision, c’est justement autour de cette vision que se construit la politique.
Voilà donc une esquisse d’analyse que nous nous promettons, d’étoffer, dans un proche avenir. Il faudra, bien sûr, après le changement de régime tant attendu par le peuple sénégalais, conceptualiser, dans des assises ou fora dédiés, de nouveaux éléments de rupture programmatique dans le domaine de la santé et de l’action sociale, en s’inspirant de la théorie des déterminants sociaux de la santé.
Dr Mohamed Lamine LY
Grand-Mbao ; Cité Baye Niasse
leelamine@nioxor.com
INFORMATION