ESQUISSES DE SOLUTIONS POUR LA CRISE DU SYSTEME SANITAIRE SENEGALAIS.
Huit années après l’alternance, force est de constater, que malgré l’accroissement du budget national en valeur absolue, le système national de santé est loin d’en avoir été le premier bénéficiaire.
Outre une instabilité institutionnelle notoire marquée par pas moins de 7 remaniements ministériels intempestifs, mais portant également sur la place que devrait occuper le volet Prévention au sein du Ministère de la Santé, les initiateurs du Plan National de Développement Sanitaire ont eux-mêmes reconnu que le temps aura manqué pour expérimenter les schémas organisationnels proposés, « parce que le ministère n’a jamais eu le temps de finaliser les arrêtés d’application des trois décrets qui se sont succédés ».
Un état de santé précaire
La précarité de l’état sanitaire de nos populations est confirmée par les indicateurs suivants:
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SENEGAL |
TUNISIE |
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INDICATEURS |
1990 |
2006 |
1990 |
2006 |
Taux brut de natalité |
43%o |
36%o |
27%o |
17%o |
Espérance de vie à la naissance en années |
57 |
63 |
- |
74 |
Taux de mortalité infanto-juvénile<5 ans |
149%o |
116%o |
52%o |
23%o |
Taux de mortalité infantile (< 1 an) |
72%o |
60%o |
41%o |
19%o |
décès maternels pour 100 000 naissances vivantes en 2005 |
401 |
100 |
Malgré l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance et la réduction des taux de natalité et de mortalité, on remarque que la Tunisie fait beaucoup mieux que notre pays.
Des moyens faisant cruellement défaut
Malgré l’acquisition d’équipements sophistiqués dans certains grands hôpitaux (scanners) et d’appareils d’échographie dans plusieurs centres de santé, il faut reconnaître que des difficultés énormes se sont posées, quant à la maintenance régulière d’équipements d’imagerie médicale et/ou de laboratoire, ce qui a compromis le relèvement du plateau technique. Et cela, du fait des coupures intempestives de la fourniture d’électricité et aussi du manque de ressources financières pour honorer les contrats de maintenance.
Concernant les ressources humaines, on note un déficit en personnels (surtout paramédical), évalué à plus de 3000 agents, malgré le recrutement annuel de 250 agents, pendant la période 1998-2007. Il faut dire que les personnels d’appui, n’ayant pratiquement aucune expérience professionnelle, mais proches des cercles du pouvoir ont été privilégiés lors de ces recrutements.
On note une détérioration sensible de la disponibilité des médicaments essentiels au niveau de la Pharmacie Nationale d’Approvisionnement, entraînant des ruptures de stocks de médicaments génériques aussi essentiels que l’amoxicilline, l’ampicilline, le mebendazole ainsi que la plupart des sirops pédiatriques.
La démarche qualité, expérimentée au niveau des EPS à la faveur de la réforme hospitalière, mais aussi au niveau de certains centres de santé, s’est heurtée à des contraintes liées au manque de ressources financières voire à un endettement colossal de la plupart des hôpitaux, ainsi qu’à un déficit de ressources humaines qualifiées.
Une protection sociale encore embryonnaire
Quant aux questions ayant trait à la promotion de la l’assurance-maladie universelle et de la mutualité, il faut reconnaître les efforts consentis par la Cellule d’Appui aux Mutuelles, IPM et Comités de Santé (C.A.M.I.C.S) en matière de sensibilisation. Néanmoins, le mouvement mutualiste en est encore à ses débuts et ne concerne encore qu’une partie très marginale des usagers, influant négativement sur l’accessibilité financière des structures sanitaires aux couches socialement vulnérables.
Les structures de proximité que constituent les centres et postes de santé refusent les imputations budgétaires, la plupart des lettres de garantie, les certificats d’indigence, ce qui prive la majorité des travailleurs des secteurs public et privé d’une couverture sociale digne de ce nom. Quant aux travailleurs non salariés et les sans-emploi, ils ne peuvent parfois même pas s’acquitter des droits d’adhésion à des mutuelles.
Les systèmes d’assurance-maladie demeurent le privilège d’une élite, qui préfère souvent le confort des structures sanitaires privées ou de certains grands hôpitaux comme l’Hôpital Principal.
De la nécessité de la réforme des cadres de gestion
La problématique de la réforme des systèmes et cadres de gestion des établissements sanitaires nous amène à parler des comités de santé, des comités de gestion, des conseils d’administration des hôpitaux réformés.
Pour ce qui est des comités de santé, on observe beaucoup de tares que sont :
- le déficit démocratique qui les caractérise : corps électoral trop restreint (délégués de quartier, délégués des ASC et représentantes des GPF), non-respect des périodicités de renouvellement, réduction du comité à son Président et à son Trésorier ;
- l’absence de règles de gestion modernes et de normes de budgétisation claires aboutissant à une mauvaise utilisation ou à la thésaurisation excessive des fonds issus de la participation financière des populations ;
- la faiblesse des actions de santé publique initiées par ces comités ;
- l’absence d’implication des représentants des organisations syndicales ;
- le caractère exceptionnel de la tenue d’assemblées générales d’information et de compte-rendu.
Quant aux comités de gestion, ils constituent les organes, à travers lesquels les collectivités décentralisées assurent la gestion des centres et postes de santé. En effet, depuis 1996, début de la décentralisation, aucun comité de gestion n’est encore pleinement fonctionnel. Il faut noter, que les prérogatives de ces comités de gestion n’ont pas été très clairement définies : les normes et procédures relatives à leur organisation et à leur fonctionnement ne sont pas codifiées. La place du comité de gestion dans l’appareil institutionnel chargé de la mise en œuvre opérationnelle de la politique sanitaire par rapport aux services techniques et aux comités de santé n’est pas précisée. Il n’y a aucun régime financier et comptable clarifiant les rôles et responsabilités des différentes parties, quant à l’élaboration, l’acquisition et l’exécution du budget de la structure sanitaire, comme c’est le cas au niveau des établissements publics de santé. Même s’i doit être présidé par le président de la collectivité locale, le comité de gestion ne saurait se réduire à une caisse d’enregistrement des volontés des autorités municipales.
La Réforme hospitalière du Sénégal a été adoptée par l’Assemblée Nationale le 12 février 1998 sous forme de deux lois complémentaires la première intitulée « loi portant réforme hospitalière » la seconde intitulée «loi relative à la création, à l’organisation et au fonctionnement des établissements publics de santé ».
De la verticalité des programmes
Les programmes de santé mis en œuvre par le Ministère de la Santé sont divers et variés. Une évaluation objective de la mise en œuvre de ces programmes de santé fait ressortir la principale critique suivante, à savoir leur défaut d’intégration. Cela découle de la verticalité de leurs interventions, qui trop souvent privilégient leurs objectifs institutionnels propres, plutôt que des besoins identifiés par le niveau opérationnel.
En conséquence, il en résulte la part trop belle faite aux activités du niveau central et du niveau intermédiaire aux dépens de celles du niveau périphérique. Cela entraîne une déresponsabilisation progressive des managers locaux, dont les plans de travail annuels se réduisent de plus en plus à des faire-valoir pour les bailleurs de fonds.
Quelques propositions de solutions
· Pour ce qui est des équipements, il faut garantir l’autonomie « énergétique » des structures sanitaires (centres de santé et hôpitaux), censés tous abriter des blocs opératoires dans un avenir très proche, en les dotant de groupes électrogènes. Il faudra veiller à concevoir, en rapport avec les services techniques communaux et ceux du Ministère chargé de la Santé, une politique de maintenance des équipements. La Direction des Etablissements de Santé doit avoir son mot à dire sur l’acquisition par le secteur privé d’équipements ultrasophistiqués, dans l’optique d’une meilleure rationalisation des équipements en vue d’en maximiser l’utilisation au profit des larges couches sociales de notre pays. Dans cet ordre d’idées, des normes devraient pouvoir être définies pour les différents types d’équipements, selon des critères démographiques et géographiques, pour permettre une complémentarité entre les offres publique et privée de soins. Il s’agira également d’éviter des cumuls de fonctions de certains hauts cadres de la Santé propriétaires de cliniques huppées, en même temps qu’ils sont titulaires de chaires à l’Université de Dakar, aboutissant à d’inévitables et patents conflits d’intérêts portant préjudice à l’accessibilité des soins pour le plus grand nombre.
· Concernant les ressources humaines, il faudra remédier au plus vite au déficit de plus de trois mille agents, déjà identifié par les autorités du Ministère de la Santé, en recrutant davantage de personnels. Dans les procédures de recrutement, il faudra également bannir la pratique d’embauche d’agents, parfois analphabètes, ne disposant d’aucune formation professionnelle dans les métiers de santé. Il faudra utiliser les opportunités offertes par l’essor sans précédent observé dans la création d’écoles professionnelles de santé et même de facultés. Cela n’occulte en rien la nécessité d’une réglementation rigoureuse dans la délivrance d’autorisations d’ouverture de ces écoles et facultés. Il faudra veiller à une meilleure organisation de la formation continue, qui s’apparente plus à une chasse à des primes complémentaires pour des agents mal payés qu’à des sessions classiques de renforcement de capacités. Ainsi, l’identification des besoins de formation, le ciblage des agents à former et le contenu des sessions sont tous relégués au second plan face à la tyrannie des perdiems.
· Sur les questions de disponibilité et d’accessibilité des médicaments, il est plus que temps d’introduire plus de transparence dans l’attribution des marchés et d’arrêter de considérer la Pharmacie Nationale d’Approvisionnement comme une « vache à lait » pour le parti au pouvoir ou comme un instrument de sa politique clientéliste, par une meilleure réglementation des dotations en médicaments lors des couvertures médicales des événements spéciaux (manifestations religieuses, conférences internationales…)
· Concernant les différents programmes mis en œuvre au sein du Ministère de la Santé, il faut changer de perspective en partant des réalités du niveau opérationnel, au lieu d’avoir une vision bureaucratique, essayant de modeler les réalités objectives du monde réel aux désidérata de fonctionnaires enfermés dans des bureaux climatisés et si prompts à obéir à des directives ministérielles et/ou à s’aligner derrière des bailleurs de fonds, pas si désintéressés que cela. Pour cela, il faut donner aux Régions Médicales les moyens d’une meilleure coordination des programmes, au lieu d’en faire de simples soldats au service des cabinets ministériels. Il faudra également assurer le financement des activités opérationnelles, en responsabilisant davantage les équipes de district, dont les prérogatives doivent être mieux délimitées par rapport à celles des centres de santé à vocation plus curative que préventive.
· La crise financière mondiale de même que le renchérissement des produits agricoles, qui commencent même à faire l’objet de spéculations boursières, sont autant de raisons de s’atteler encore davantage à la promotion et développement des systèmes de protection sociale dont les mutuelles et les assurances-maladies, au vu de l’accroissement de la pauvreté qui risque de compromettre irrémédiablement l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement ayant trait à la réduction de la mortalité infantile, celle de la mortalité maternelle et au contrôle d’affections telles que le VIH-SIDA, le paludisme et la tuberculose.
· Enfin, les cadres de gestion actuels (comités de santé, comités de gestion et conseils d’administration) doivent faire l’objet d’une réflexion, dans le sens d’une modernisation de la gestion financière et d’une implication des diverses parties prenantes à la politique sanitaire des établissements publics de santé de tous les niveaux I (centres de santé), II (hôpitaux régionaux) et III (hôpitaux nationaux). Cette réflexion doit se mener dans le cadre d’une dynamique visant à évaluer les politiques en cours (retombées de la décentralisation sur la politique sanitaire, mise en œuvre de la réforme hospitalière).
Ce n’est que par une concertation large, impliquant tous les acteurs de la Santé (travailleurs, usagers, autorités sanitaires, municipales et administratives) que des solutions de sortie de crise pourront être identifiées et mises en œuvre pour le plus grand bien de nos concitoyens !