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LE BLOG DE NIOXOR TINE

INTERVIEW SUR LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE

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LBNT-Le président de la République a lancé la couverture maladie universelle pour régler le problème de l'accessibilité financière aux soins. Est-il vraiment possible qu'on arrive à réaliser cette volonté politique?

M. LY: Oui, bien sûr et c’est ce que tout le monde souhaite. Cependant, il est essentiel de prendre en compte le lourd héritage des politiques clientélistes et antisociales en cours  depuis l’accession de notre pays à l’indépendance formelle. En effet,  la protection sociale, au sens large,  a souvent pâti d’un déficit notoire d’équité et d’efficacité dans un contexte de de mal-gouvernance et d’application  des recettes des organismes financiers internationaux (FMI, BM…) conduisant aux plans d’ajustement structurel, de triste mémoire ! 

LBNT-Que faudrait-il faire pour régler la situation sanitaire très préoccupante du pays? 

M. LY:Même si le tableau d’ensemble de la situation sanitaire reste effectivement préoccupant, il faut quand même noter quelques acquis dans la lutte contre certaines affections courantes (paludisme, sida…). Il y a d’abord nécessité urgente d’agir sur les déterminants sociaux de la santé (eau potable et assainissement, alimentation suffisante et équilibrée, mise en œuvre de politiques d’habitat social adéquates…). Il s’agira ensuite de développer l’offre de soins par la création de nouvelles infrastructures, le recrutement de ressources humaines qualifiées suffisantes, l’acquisition d’équipements  pour des soins de qualité…

LBNT-Quels préalables pour la CMU? 

M. LY: Cette question est en relation avec la précédente. Outre l’adéquation entre offre et demande de soins, il faudra veiller à la pertinence du système d’orientation-recours.

 Il faudra, également, s’assurer que la volonté politique affirmée en faveur de la couverture maladie universelle soit sous-tendue par un engagement sans faille en faveur de l’équité en santé. Cela devrait conduire les décideurs à privilégier les soins de santé primaires, à vocation principalement préventive. Paradoxalement, les districts sanitaires en charge des soins de santé primaires peinent à disposer de leurs fonds de dotation ‘’confisqués’’ par la plupart des collectivités locales. Au même moment, les hôpitaux et les services centraux du Ministère de la Santé se taillent la part du lion au niveau du budget.  Enfin, les autorités ministérielles doivent  exercer un leadership sur l’ensemble du Secteur de la Santé, y compris les structures privées, qui quand elles s’écartent de leur mission de service public, peuvent entraver aussi bien la résolution des problèmes de santé pour le  plus grand nombre que l’atteinte des objectifs sociaux (en particulier l’équité), par un secteur public sévèrement handicapé par le manque de moyens.

LBNT-Qui est ce qui gère les 90 milliards destinés à la protection universelle? 

M. LY: Je ne sais pas si le montant avancé, en période de campagne électorale,  a été finalement atteint. Pour ce que j’en sais, une partie des fonds est gérée par la Cellule d’Appui à la mise en œuvre de la Couverture Maladie Universelle (CACMU), tandis que la part la plus importante relève de la Délégation générale de la protection sociale et de la solidarité nationale, en charge des bourses de sécurité familiale.

LBNT-Pour lutter contre la mortalité maternelle et néonatale, le gouvernement a rendu gratuite la césarienne. Mais nous avons constaté que dans les hôpitaux de Dakar cette gratuité n'est toujours pas effective. Qu'est ce qui se passe?

M. LY: Là également, on m’aurait informé que les autorités du Ministère de la Santé peinent à mettre en place les kits des césariennes, qui devraient combler le manque à gagner  occasionné par la gratuité de cet acte si utile pour préserver la vie de la mère et de l’enfant.

LBNT-Certains médecins disent que cette césarienne n'est gratuite que de nom parce que le patient paye l'hospitalisation et les médicaments et qu'il y a des hôpitaux qui ont arrêté la gratuité. Ou se trouve le problème?

M. LY: C’est très vraisemblable ! Pour en revenir à ces politiques de gratuité, elles gagneraient à être mieux élaborées, à cibler de manière plus spécifique les couches vulnérables auxquelles elles sont destinées. Les sénégalais doivent savoir que la plupart des structures de santé de notre pays fonctionnent sur la base des recettes issues de la participation financière des populations à l’effort de santé, qui se substituent très souvent aux fonds de dotation logés dans les collectivités locales et dont très peu parviennent aux districts. Je citerai, à titre d’exemple le district de Mbao, qui depuis 2009, n’aurait pas reçu ses fonds de dotation et les districts du département de Dakar, qui depuis deux ans, n’ont pas reçu leur dotation en médicaments. Tout cela fait que c’est essentiellement avec les ressources provenant des populations que les comités achètent des médicaments, recrutent des agents supplémentaires, réparent des ambulances, complètent les budgets des campagnes de vaccination… etc. Bref ! Les comités de santé se substituent à l’Etat. Sans mesures d’accompagnement, ces politiques de gratuité vont conduire à l’effondrement du système sanitaire sénégalais ! 

 

Dakar, octobre 2013

 

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