A PROPOS DE L'HONORABILITE DE CITOYENS AU DESSUS DE TOUT SOUPçON.
WEEX DUNX
Par Bassirou Sélémane NDIAYE
Lorsqu’un président normal roule en scooter pour se rendre à son deuxième bureau après une journée bien remplie au premier, c’est une chose normale, tout au moins banale. Lorsqu’un président qui se veut exceptionnel est flashé dans une situation normale y compris des faits et gestes des membres de sa famille et de ses proches, il s’offusque d’être jeté en pâture par une presse d’un genre nouveau qui dit tout et de tous. Alors trotte l’idée de concocter des lois pour faire taire une presse normale qui relate des faits normaux de président normal qui se veut exceptionnel. Chercherait-on donc à promulguer ici une fatwa contre certains versets jugés sataniques ?
Les médias ont longtemps été une affaire d’élites. Un ensemble de critères, politiques, intellectuels, socio économiques et financiers étaient requis pour y avoir accès. Souvent aux mains d’une caste détentrice de pouvoirs et donc défendant des intérêts, la presse a toujours vécu en ménage avec les autres pouvoirs. A travers ce gentlemen agreement, elle savait s’auto censurer sur des sujets jugés « sensibles », bander des muscles de temps en temps en entrebâillant une fenêtre sur la cour des rois. Elle se définissait alors autour d’une ligne dite éditoriale qui en codifiait le contenu, en identifiant sa cible.
En démocratisant la parole, la toile a ouvert un nouveau chapitre pour l’humanité. Elle donne enfin la parole aux sans voix, à ceux dont les avis n’ont jamais été comptés et/ou comptabilisés en dehors des normes conventionnelles de comptage et de comptabilisation. Mais cette démocratisation de l’expression dérange. Elle dérange en particulier les tenants de pouvoirs ; pouvoir économique, pouvoir politique, pouvoir culturel et religieux. Elle dérange parce qu’elle permet au citoyen de donner son avis, d’exprimer son humeur, sans gants et sans règles conventionnelles sur la façon dont il subit l’exercice des pouvoirs. Cette expression s’attaque à la morale des tenants de pouvoirs qui paradoxalement au nom de la morale cherchent à l’étouffer. Mais où est donc la morale ? Dans les faits et gestes ou dans la façon de s’exprimer ?
L’expression en ligne peut être vulgaire, banal comme tous les actes quotidiens que pose un homme normal. Elle ne cherche pas à plaire ou à convaincre. En exprimant une humeur conjoncturelle ou structurelle, elle s’identifie à un juron. Elle n’argumente pas et s’exhibe exactement comme la voix d’un supporter ou d’un pratiquant sur un terrain de sport, une place de jeux de dames ou de cartes. Le fameux « barres-toi, con ! » qui est une expression usuelle et qui défraya la chronique en France avait juste eu le tort de sortir de la bouche d’un président de la république qui se voulait extraordinaire, puis relayé par une presse.
L’expression en ligne dénonce les agissements nocturnes des clergés- censeurs très à cheval sur les textes pendant la journée. Elle s’attaque à l’anticonformisme de l’enseignant trop visible après les classes, aux penchants véreux des hommes de lois dans la rue ou dans l’intimité de leurs cabinets.
Elle désarticule les écailles argentées des tenants de pouvoirs en les poussant dans leurs derniers retranchements. Il « normalise » l’homme public en le rendant plus conforme à la faible créature humaine dont il cherche à s’affranchir. Mais le tenant de pouvoir humanisé est un officier rétrogradé, donc humilié. Pourquoi le ramènerait-on à un statut d’homme normal avec ses qualités et ses défauts ?
La question va cependant au-delà de simples opinions citoyennes sur les faits et gestes des tenants de pouvoirs. Il est reproché en particulier au citoyen de savoir et de faire savoir les mensonges, les vols, les viols sous les soutanes et les turbans, les crimes qu’on lui cache au nom de la raison d’état et/ou de la morale.
A Ndoumbélane, l’actualité sur la toile est dominée par les activités débordantes des rejetons des tenants de pouvoirs, et des frasques de leurs proches sur lesquels est tombée sans nuage, une pluie de richesses et de titres. Les internautes reprochent aux cabris repus de gambader, faisant frissonner les mamelles nourricières coupables du trop-plein mis à leur disposition en ces périodes de disette. « Ku jiitu, sa ndong fës ».
Les révélations sur les écoutes téléphoniques aux Etats Unis, la neutralisation d’une bande de malfaiteurs à l’ombre du pouvoir en Turquie, la pédophilie au sein de certaines églises, ont déclenché une furie des gouvernements concernés, contre ceux qui sont accusés d’avoir révélé des secrets, des vérités secrètes pour être plus proche de la réalité.
Ce qui dérange ce n’est donc pas ce qui se dit parce qu’il a toujours été dit comme tel. Ce qui dérange ce n’est pas aussi ce qui se sait parce qu’il a toujours été su comme tel.
La tentative de censure viserait plus à castrer l’audience rendue possible des sus et des dits par le développement des TIC. De toute façon, ce n’est pas toujours au nom de la quête de vérité que sont brandis, les « kuur u baay fall », même si on cherche à convaincre l’opinion du contraire.
On n’a jamais vu un laudateur trainé devant la justice pour avoir dit des contre-vérités. Pourtant tout le monde s’accorde à dire que plus de 99 % des couronnes tressées sur la tête des tenants de pouvoirs sont des amalgames de fleurs artificielles, loin de la réalité.
Les tenants de pouvoirs, avec la force que leur confère leurs statuts, cherchent non pas à moraliser l’expression citoyenne mais à en réprimer l’écho quand il déplait et à le primer quand il lisse les angles coupants de leurs personnes.
Oui, le langage sur la toile n’a rien d’académique. Il ramène à son juste rang de mortel celui qui se voulait demi-dieu, en manipulant les médias conventionnels. Il réhabilite le statut d’homme normal de celui qui se croyait au-dessus de tous et de tout.
Cette presse-people d’un genre nouveau s’adresse pourtant sociologiquement à un groupe d’hommes et de femmes qui s’en accommode ou s’en délecte. Elle laisse indifférent une grande partie qui s’en moque éperdument. Pourquoi donc les en priver ? Pourquoi obligerait-on un groupe social à lire, à penser et à écrire de telle ou telle façon ? S’interdire les revues pornographiques, ne pas fréquenter les salles de jeux, est une chose, les interdire en est une autre. Choisir son journal, un genre littéraire, son magazine, relève de la liberté de chacun. Vouloir limiter la pensée politique et culturelle à ses convictions est tout autant dictatorial. Beaucoup de dictateurs ont su pourtant à leur dépends que les idées n’ont jamais brûlé avec les livres. Le défi n’est que plus grand aujourd’hui que la pensée voyage sur la toile.
Partagé entre le devoir de transparence et la mise sous scellés des pratiques des tenants de pouvoirs (cacher la vie privée des hommes publics et de leurs proches), Ndoumbélane ressemble à un voyageur au bord du gué. Il n’a pourtant pas d’alternatives. Plus rien ne sera comme avant ! Les exigences démocratiques et l’obligation de transparence que les TIC ont fait naitre en le rendant possible, nous bouscule comme la meute de gnous devant la rivière de Séringueti. Et cette rivière qui se dresse devant nous, avec ses cascades meurtrières et ses crocodiles ne s’ouvre pas forcément sur de vastes prairies fussent-elles bleues ou vertes. Elle n’a rien du mythologique « Pont de Sirath » qui donne sur les portes du paradis, mais déboucherait sans aucun doute, sur un monde toujours plus friand de nouvelles, toujours plus avide de transparence.
Ceux qui ont lutté et obtenu la publication des biens de ceux qui nous gouvernent, ont découvert qu’ils ont été grugés. Beaucoup d’élus qui ont eu le courage ou l’obligation de s’y soumettre, ont menti par omission. Ils sont certains, qu’ils n’auraient pas obtenu leurs suffrages si leurs concitoyens savaient qu’ils ont accumulé autant de richesses, autant de leurs richesses. « Bukki, ken du ko denk ay seel ».
L’exigence citoyenne et démocratique de transparence va par conséquent forcément évoluer vers une autre plus juste, de publication des biens de chaque candidat à un poste électif, de son curriculum vitae y compris sa cour et son arrière-cour, son premier bureau et son deuxième bureau s’il existe, bref son certificat de bonne vie et mœurs délivré non pas par un juge conventionnel mais par les jurées de la toile.
La question ne sera non plus de savoir qui avons-nous élu, mais bien qui allons nous élire. Il y aura alors forcément moins de prétendants, c'est-à-dire de « candidats à l’immunité » mais au moins recevrons-nous moins de plaintes, de complaintes et de cours de morale contre ceux qui ont le courage d’ouvrir les fenêtres sur les jardins secrets des tenants de pouvoirs.
Peut être aussi, serons nous débarrassés des « anciens futurs élus » poursuivis pour escroqueries, obligés de s’expatrier ou de changer de nationalité.
Aux Etats Unis, cette question semble réglée par une presse d’investigation qui ne s’interdit rien pour éplucher le cv chaque prétendant à un poste électif. Mais si là-bas on prime au nom de la morale, à Ndoumbélane on réprime au nom aussi de la morale.
Dualiste univers donc, uni vers ce même concept à mille visages : la démocratie.
BANDIA, FEVRIER 2014