DECENTRALISATION ET SANTE: SE METTRE A LA HAUTEUR DES ENJEUX!
S'il fallait faire le bilan du transfert de la compétence Santé aux Collectivités Locales, nul doute que les points à améliorer seraient de loin plus nombreux que les points forts.
Cet article publié en avril 2003 avait commencé à poser le débat. Depuis lors, la situation s'est aggravée. Le nouveau régime du président Macky Sall, sans prendre la peine d'évaluer les réformes de 1996, a mis en chantier la réforme de l'acte III. Les acteurs sur le terrain n'ayant pas été associés à la réflexion sur l'élaboration de cette nouvelle réforme ignorent l'impact que la communalisation universelle et de la départementalisation auront sur le transfert de la compétence Santé et Action Sociale. Nous promettons d'y revenir prochainement.
Les réformes sur la décentralisation de 1996 ont induit des changements importants dans le système de santé : la gestion des services de santé qui, depuis l’indépendance du pays, relevait des professionnels de la santé est transférée aux collectivités locales. Il faut dire que le ministère de la Santé était lui-même déjà engagé dans un processus de décentralisation interne au système de santé dans une logique d’une plus grande autonomie et d’une plus grande flexibilité des services de santé de base. Et cela s’est traduit par la mise en place des districts sanitaires, le système de planification sanitaire de la base au sommet introduit avec les premiers plans des districts sanitaires, l’augmentation des crédits du niveau central alloués aux districts sanitaires et la plus grande autonomie des médecins-chef des districts dans le cadre de la délégation de crédits et le renforcement des capacités des comités de santé à partir de 1992 avec la mise en œuvre de l’initiative de Bamako.
Les initiateurs des lois de la décentralisation de 1996 n’ont pas suffisamment tenu compte de ces réalités du système sanitaire.
Chacune des collectivités décentralisées a reçu des compétences en matière de santé. La commune assure la gestion des centres et postes de santé urbains, dont elle a également en charge l’équipement, l’entretien et la maintenance des infrastructures et de la logistique. Elle assure la compétence de gestion à travers un comité de gestion. Il faut noter, que les prérogatives de ces comités de gestion n’ont pas été très clairement définies. Ce d’autant plus que les normes et procédures relatives à leur organisation et à leur fonctionnement ne sont pas codifiées. La place du comité de gestion dans l’appareil institutionnel chargé de la mise en œuvre opérationnelle de la politique sanitaire par rapport aux services techniques et aux comités de santé n’est pas précise. Il n’y a aucun régime financier et comptable clarifiant les rôles et responsabilités des différentes parties, quant à l’élaboration, l’acquisition et l’exécution du budget de la structure sanitaire, comme c’est le cas au niveau des établissements publics de santé.
De plus, la plupart des collectivités locales de notre pays n’ont pas encore les capacités administratives pour faire face à la complexité et à la nouveauté du domaine de compétence que constitue la Santé et l’Action sociale.
A ce niveau, il faut signaler que le ville de Dakar constitue une exception, car elle dispose d’infrastructures et de personnels propres et même d’une direction de l’Action sanitaire et sociale. Néanmoins, cette structure, qui ne devait constituer qu’une direction technique auprès de l’institution municipale, tend à se transformer en un doublon du ministère de la Santé, ce qui se traduit par la violation du principe de l’unicité de commandement.
Les transferts de compétences en matière de santé sont accompagnés d’un transfert de ressources financières du ministère de la Santé aux collectivités locales à travers le Fonds de dotation décentralisé (Fdd) pour les «dédommager» des charges induites par les transferts de compétence.
Les mécanismes de transfert de ressources financières du ministère de la santé aux collectivités locales, sont caractérisés par la non-prise en compte du district sanitaire, unité de base de la planification et de l’allocation des ressources du ministère de la Santé. Cela a conduit au morcellement de ce même district entre plusieurs collectivités locales qui s’administrent de manière autonome, sans aucune relation hiérarchique.
Depuis 1996, année du début de la mise en œuvre des lois de la décentralisation, on a assisté à l’augmentation des charges incombant aux comités de santé devenus, par la force des choses, la principale source de financement du fonctionnement des structures sanitaires à cause de la mise en place tardive du Fdd ou son détournement au profit d’autres secteurs ou à d’autres fins. En effet, les taux d’exécution des budgets transférés, restent encore très faibles, pour diverses raisons dont la principale est la priorité accordée par la plupart des collectivités locales à leurs préoccupations politiciennes et clientélistes au détriment de leurs obligations de gestion administrative.
Par ailleurs, beaucoup d’incompréhensions sont liées à l’immixtion intempestive et maladroite de certains élus locaux ou de leurs mandants dans la gestion des ressources humaines. Or, le personnel de santé de l’Etat, en exercice dans les structures sanitaires, est toujours sous la responsabilité du niveau central. En d’autres termes, le personnel de santé dans sa majorité reste encore sous l’autorité du ministère de la Santé et est administré au niveau local par la région médicale et le représentant de l’Etat (sous-préfet, préfet et gouverneur).
Il apparaît prématuré, en l’état actuel des choses, de transférer la gestion des ressources humaines à des collectivités locales encore insuffisamment imprégnées de l’esprit républicain, qui doit présider à toute décision, dans un domaine aussi sensible. Recrutements clientélistes et mutations arbitraires semblent, en effet, constituer les clefs de voûte de leur politique en la matière.
Pour concilier les préoccupations du ministère de la Santé, notamment celles ayant trait à l’organisation du district sanitaire et le transfert de la compétence «santé» aux collectivités locales, la réflexion devrait se faire autour de la mise en place de cadres de partenariat non seulement entre l’Etat et les collectivités locales, mais aussi entre les collectivités locales, et entre les collectivités locales et les structures de soins.
Pour mieux responsabiliser les techniciens de la santé quant aux résultats de leur action, il importe d’assurer l’extension du processus d’autonomie financière des hôpitaux aux districts sanitaires, par la mise en place de conseils d’administration (en lieu et place des comités de gestion) présidés par des élus locaux et où seraient représentées les populations et les organisations des travailleurs.
Il faudrait repenser la participation communautaire, telle qu’elle est actuellement incarnée par les comités de santé, car elle se réduit, encore trop souvent, à la participation financière des populations. Il faudra trouver la juste mesure entre les risques accrus d’une «politisation» de la participation communautaire à cause de l’implication des collectivités locales et la mise en place d’un environnement légal et institutionnel plus solide pour le renforcement de la participation communautaire dans le développement sanitaire.
La réduction des ressources financières publiques disponibles au niveau du district sanitaire suite au transfert des budgets des structures sanitaires aux collectivités locales, a eu des incidences négatives sur le système de santé. C’est pour cette raison, qu’il faudrait être circonspect, quant au transfert intempestif de la gestion des ressources humaines aux collectivités locales. La création prochaine d’une direction des Ressources humaines au sein du ministère de la Santé devrait constituer l’occasion d’une définition de critères objectifs d’une gestion démocratique du personnel de santé, qui devrait pour le moment rester sous l’autorité du ministère de la Santé et des représentants de l’Etat (sous-préfet, préfet et gouverneur). Dans cette optique, on pourrait penser à une mise à disposition des personnes de santé qualifiées et recrutées par les collectivités locales au niveau des régions médicales ; ce qui permettrait de procéder à une gestion intégrée des ressources humaines en concertation avec les partenaires sociaux et les collectivités locales.
La régionalisation au Sénégal, en transférant plusieurs compétences aux collectivités locales dans divers domaines en plus de leurs compétences traditionnelles, crée un environnement et un cadre institutionnel favorables au renforcement de l’approche multisectorielle pour un développement sanitaire durable dans le pays.
Encore faudrait-il que la volonté d’accaparement propre aux politiciens activistes ne vienne remettre en cause une approche graduelle et réfléchie basée sur le renforcement des capacités des collectivités locales et l’approfondissement du processus démocratique de notre pays.
Publié dans le Quotidien du 24 avril 2003
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