DE L'ALTERNANCE A NDOUMBELANE
DE L’ALTERNANCE
Par Bassirou Selemane NDIAYE
On se croirait dans un film de science fiction, tant nos hommes politiques, sans ressembler à de caricaturaux humanoïdes, semblent sortis d’une chaine de fabrication en série. La classe politique renvoie à l’image d’un grand magasin de stockage de pièces détachées toutes préparées à s’insérer dans la même machine. De la vapeur au nucléaire, en passant par le diésel et l’essence, de l’éolienne au solaire. Il est difficile de parler de différences en dehors de la couleur des familles que les membres à titre individuel ou collectif peuvent d’ailleurs changer à tout moment, par plaisir ou par nécessité. Tant pis pour les nostalgiques d’un monde multipolaire. Le temps est bien loin où le changement de couleur en politique était perçu comme un renoncement à un ensemble de valeurs. Pour les anciens compagnons de lutte, il pouvait même être interprété comme une reddition devant l’adversaire, ou une trahison des siens.
« Tous pourris » ? Certainement pas, d’autant que l’expression reste négativement chargée à cause de sa paternité peu glorieuse. Mais peut-on donner tort à ceux qui disent : « ils sont tous pareils !» ?
Nos concitoyens ne sont pas satisfaits de ceux qui les dirigent, en tout cas, pas convaincus des perspectives qui s’offrent à eux.
Si nos gouvernants sont sûrs d’agir dans le bon sens et pour le meilleur des populations, ont-ils du mal à communiquer ? Ce serait un moindre mal. Auraient-ils rencontré des obstacles insurmontables ou sont-ils limités dans leurs capacités à proposer un futur au moins lisible, acceptable ou condamnable comme toute vision ? Ce serait déjà grave. Ce qui est désolant, c’est l’absence structurelle d’une opposition capable de proposer une politique alternative. Ce sentiment largement partagé est certainement lourd de dangers parce que synonyme d’absence d’alternative. Or, en politique et dans la vie tout court, plus que la rigueur des conditions d’existence, c’est l’absence d’alternative qui déclenche la violence.
L’économie de marché malgré ses avatars, s’est imposée à nous comme mode gestion des échanges entre les hommes et entre les nations. Le débat idéologique s’en est trouvé radicalement transformé en contradictions techniques. Ce n’est plus le type de société qui est posé mais la gouvernance démocratique des nations. Comment tirer profit de la situation concrète pour l’individu et le collectif, comment favoriser l’expression des énergies privées individuelles sans nuire à l’épanouissement de la majorité ? C’est une question nationale non sans références exogènes d’autant que le capital impérial est apatride et se passe de nationalité. L’économie capitaliste la plus dynamique aujourd’hui est régentée par un pouvoir communiste pendant que la plus grande du moment s’échine à réguler le partage des biens entre riches et pauvres. Ce n’est donc plus l’idéologie des partis mais les programmes ponctuels en réponse à des contingences économiques qui sont en jeu, mais aussi la crédibilité de ceux qui les proposent : crédibilité technique, crédibilité morale aussi.
Mais rien de durable ne peut se faire sans l’appui d’un parti structuré autour d’un idéal philosophique qu’il soit de droite ou de gauche. L’histoire a pourtant permis (et ce n’est pas nouveau) contre notre humaine certitude, l’accession au pouvoir de candidats « sans parti ». Des partis créés à la veille de scrutins ont eu également à remporter des victoires devant les partis-dinosaures. Ces phénomènes peuvent être classés dans la catégorie des coups d’état circonstanciels favorisés principalement entre autres par :
- Les crises politiques, économiques et sociales persistantes attribuées à l’incapacité des partis traditionnels à répondre aux préoccupations de l’heure.
- La difficulté des partis traditionnels à se renouveler ; renouvellement des ressources humaines et des stratégies mais aussi renouvellement de l’information et de la communication.
- La mondialisation a effrité le patriotisme. S’ils continuent à défendre leurs origines, les jeunes s’installent et vivent là où ils se sentent bien. Au-delà des frontières, ils rêvent d’être des héros et pas des martyrs, un point et c’est tout.
En tout état de cause, les coups d’état circonstanciels ne seront autres que des parenthèses douloureuses nouées autour de personnages singuliers vite happés par le syndrome du roi Christophe.
Comment bâtir un parti d’opposition alternatif ? La réponse n’est certainement pas à chercher dans la création de nouvelles écuries politiques avec des acteurs marginalisés par une situation devenue trop complexe ou par de jeunes loups trop pressés. Elle proviendra des renouvellements maitrisés des écuries politiques traditionnelles, plus aguerries, et plus expérimentées. Mais la question du renouvellement des écuries politiques traditionnelles n’est pas simple et ne se résume pas en la présence de nouvelles générations au sein des instances dirigeantes des partis. Perçu comme une simple question « d’alternance générationnelle », à la tête des instances des partis, il omet les valeurs et les principes. Il enterre l’histoire oh combien héroïque de grands patriotes.
Les « papis » font de la résistance à la tête des partis traditionnels, et ce n’est pas toujours pour des raisons de pouvoir (fut-il symbolique) et de potentielles sinécures. Beaucoup d’entre eux sont traumatisés à l’idée de voir bradé en quelques instants, ce qui constitue l’héritage le plus précieux de ce qu’ils ont conçu toute une vie durant.
On peut également regretter qu’en dehors de slogans, la question du renouvellement des directions des partis politiques n’ait pas fait l’objet de recherches pour dégager des voies de compromis. Si l’université - et la recherche de manière générale - ne s’est pas souvent auto exclue, elle a sombré, noyée par le politique et la politique chaque fois qu’elle s’est mêlée au débat. D’éminents universitaires appelés au front pour avoir émis de brillantes théories, se sont brûlés les ailes comme Icare. En échouant dans la pratique politique, ils ont porté un sérieux coup à leur réputation, à la crédibilité de leurs propos.
Nous ne pouvons pourtant pas nous passer de la réflexion théorique de la recherche et de l’université si nous voulons bâtir des édifices stables et adaptés aux aspirations des populations.
La question du renouvellement des partis se pose à nous comme elle se pose aux architectes et aux promoteurs immobiliers. Elle intègre la qualité et la quantité des ressources humaines disponibles, les couts économiques et sociaux, la maitrise des outils scientifiques, techniques et technologiques, l’espace et le temps. Cà, c’est le cadrage conceptuel. La mise en oeuvre est l’affaire d’une armée parce qu’un parti est une armée politique et démocratique. Mais une armée quand même, avec son état major, ses officiers, ses sous officiers et hommes de troupe. Il a un objectif, une stratégie, et des résultats attendus de son programme et de ses activités, avec des indicateurs objectivement vérifiables. Un parti politique a une cible, une cible militaire sur laquelle il tire pour l’abattre ou la neutraliser, et une cible affective vers laquelle il dirige son discours et son action pour l’enrôler à sa cause.
Quelle qu’elle soit, la cible d’un parti politique est dynamique. Elle change dans le temps et dans l’espace naturellement et pour des raisons stratégiques. Elle peut même succomber, vaincue ou terrassée par les transformations sociales.
Pour survivre, un parti doit donc rester dans la dynamique des transformations économiques et sociales. Mais comment rester soi, en changeant les ressources humaines, la stratégie le discours, la méthode, les outils? Comment passer de la « guerre de tranchées » avec des cibles statiques à la « guerre des étoiles » ? C’est pourquoi, le combat politique comme la guerre, n’est plus seulement une question de courage mais aussi et surtout de maitrise technique et technologique. Demandez aux vainqueurs de Verdun !
Le monde s’effondre et nous oblige à rechercher de nouvelles positions d’équilibre mais sûrement pas en marchant sur la tête. Les bases sociales, politiques et économiques sur lesquelles reposaient les partis politiques s’effritent et les contraignent en conséquence à se redéfinir.
Reconnaissons tout de même, la question du renouvellement des partis et de la classe dirigeante n’est pas spécifique à notre pays et serait même le dénominateur commun des peuples colonisés ou sortis de joug de domination fut-il national ou étranger. Le monopole du pouvoir par les partis ayant joué les premiers rôles dans les luttes de libération nationale ou contre les dictatures, peut être lu comme la revendication d’un droit de jouissance d’un trophée acquis dans la douleur par les acteurs historiques et de leurs héritiers. L’obsession paranoïaque qui assimile toute opposition à l’ennemi d’hier (qui est une autre interprétation), n’est pas d’ailleurs toujours dénuée de fondements. Que ce soit en Afrique, en Amérique latine ou en Asie, des liens techniques, militaires et financiers évidents entre les anciens pouvoirs coloniaux, les dictatures chassées et l’opposition ont été établis. « Les valets locaux de l’impérialisme français » en Guinée, ce n’était pas qu’une vue de l’esprit. Le sabotage de l’économie guinéenne par le pouvoir français s’appuyait forcément sur des groupes sociaux locaux. Les horreurs subis par le peuple vietnamien au nom de « la démocratie », par l’impérialisme américain et leurs alliés locaux sont tels qu’on ne saurait exiger du parti communiste vietnamien une posture de fair-play et des accolades comme à la fin d’un match de basket. Les ruines et la désolation causées par le funeste Savimbi en Angola, le bilan macabre des contras au Salvador, au Nicaragua, le génocide des khmers rouges au Cambodge, les traumatismes nés de la guerre de libération en Algérie, etc., réveille forcément des libérateurs d’hier un reflexe de veille et d’alerte.
Ndoumbélane n’a pas connu une histoire aussi tragique, mais il a eu à compter ses morts, ses exilés, ses estropiés échappés des geôles, son lot de héros et de martyrs qu’aucun régime n’a tenté jusqu’ici de réhabiliter. Nous avons réussi à franchir le cap de l’indépendance en évitant le purgatoire aux supports des dominations antérieures (esclavagistes et colonisateurs), quelquefois même en les élevant au titre de héros. Fiers de notre Ndoumbélanité-française, nous avons omis de parler à nos enfants des douleurs endurées par le petit peuple sous le joug des supplétifs habillés en manteaux de bouffons qui ont pris la place des grands patriotes résistants. La grande arnaque proviendrait du fait que l’histoire qu’on nous enseigne est une histoire coloniale qui commence justement à partir de cette période pour se prolonger avec les faits et gestes des héritiers légitimés par un pouvoir colonial contraint de passer le témoin. La Ndoumbélanité-française c’était déjà une transhumance, une collaboration avec l’ennemi (esclavagiste et ou colon), pour des avantages personnels. En ne retenant que les jouissances de l’exercice du pouvoir et les avantages qui lui sont attachés, nous avons ôté à nos enfants l’attrait du refus. « Kuy wax ne guur neexul, danga ca bokul ». Le pouvoir devient ainsi à leurs yeux un bouillon, une sorte de « baase salté » disposé à accueillir tous les ingrédients, et les hommes moulés en cubes « jumbo », attendant le bon vouloir du cuisinier qui acceptera de les plonger dans la sauce.
Notre démocratie n’est pourtant pas un don du ciel. Et c’est aussi une autre arnaque que de parler de siècles de démocratie alors que plus de 90 % de nos concitoyens étaient réduits à l’état de bêtes de sommes et de chair à canon au service des envahisseurs.
Nous la devons à des siècles de lutte et de refus. Ceux qui nous invitent à faire table rase de cette histoire, et à nous démarquer de nos héros du refus parce que issus du petit peuple, ne sont pas nos amis. Si le patriotisme ne s’appuie pas sur l’histoire, si le drapeau national ne rappelle aucun visage, aucun acte héroïque, il ne sera pas moins qu’un chiffon coloré qu’on nous oblige à adorer.