Les germes d’une révolution nationale démocratique.
Par Bassirou S. NDIAYE, invité de la Rédaction
Spartacus a été vaincu, la Commune de Paris défaite, la République Espagnole aussi. La guérilla bolivienne a été étouffée avec son légendaire Commandante Ernesto Che Guevara, et Gamal Abdel Nasser n’a pas survécu aux coups de boutoir combinés des appétits de la grande finance internationale. Thomas Sankara le référentiel du pays des hommes intègres et de la jeunesse africaine, a été mangé à la sauce françafrique, sa révolution « rectifiée » au profit des prédateurs qui refusent obstinément de lâcher la mamelle qu’ils sucent depuis des siècles, de l’esclavage à la néo colonisation en passant par la colonisation.
Les raisons historiques qui ont engendré ces révolutions et les causes qui ont été à l’origine de leurs succès et/ou de leurs échecs ultérieurs font encore débat.
D’autres révolutions moins connues mais non moins tragiques ont jalonné l’histoire des hommes dans leurs tentatives de remise en cause de modèles de sociétés et de rapports sociaux injustes ou en tout cas, basés sur des traitements inégalitaires entre les collectifs et les individualités. Elles ont enfanté des héros et des martyrs dont les faits d’armes et les idéaux constituent le patrimoine historique auquel des hommes se réfèrent, le terreau fertile prêt à faire germer d’autres combats et d’autres révolutions.
Ndoumbélaan aussi a eu ses héros et ses martyrs dont les faits d’armes et les idéaux ont méthodiquement été ensevelis par la puissance coloniale puis néocoloniale. Au cours de l’histoire tumultueuse, ils ont eu à faire face aux envahisseurs mais aussi à des valets locaux convertis à la collaboration, contre leur patrie. L’esclavage s’est en effet appuyé sur une armée locale plus à même de traquer les populations dans les profondeurs du continent inaccessibles aux négriers. Les premiers marchands de chair, souvent rémunérés avec des bibelots sans valeur et du vin frelaté, étaient donc déjà des nôtres. Les porteurs marchant devant les « explorateurs », les supplétifs de l’armée coloniale n’étaient pas toujours des travailleurs forcés. Le Gladiateur, ce monstre froid tout acquis à la cause de l’impérialisme, est donc bien l’héritier historique de ces renégats, l’ivraie indésirable au milieu de nos graines, difficile à revendiquer mais impossible à ne pas assumer. Après avoir tenté en vain par tous les moyens de perpétuer la domination néocoloniale, il est allé se mettre personnellement au service de ses maitres sous un parapluie fantôme taillé sur mesure, en « ne regrettant rien. » SIC.
La « république « sobre et vertueuse » pour laquelle il s’était battu ayant accouché d’une dynastie boulimique et perverse, Goorgorlu ne rêvait plus que de changement. Un changement non pas seulement comme le pense Machiavel la quête « de nouveaux maitres dans l’espoir d’améliorer son sort ». Face à un régime despotique, il a cherché sa voie, handicapée par sa voix étouffée par les arrestations et les emprisonnements à géométrie variable, la corruption, les exils forcés, les tortures et les meurtres, etc. sur fonds de gabegies et de prédations des ressources naturelles et humaines de Ndoumbélaan.
Il ne rêvait pas du « grand soir » ouvrant la porte sur un univers conceptualisé par de grands penseurs et porté par des héros au grand cœur. Il voulait simplement désarçonner les cavaliers indélicats sur son dos, vivre autrement.
Parvenu à ses fins, sans apaiser sa faim de pain, sa soif d’eau et de justice le voici à la croisée des chemins, ne sachant pas trop ce qu’il va faire de sa victoire. S’il a voté en faveur du « Projet », il ne l’a pas pour autant choisi comme alternative économique et sociale mais plutôt comme l’arme politique de combat la plus efficiente pour se débarrasser du Gladiateur. Ce qu’il a voulu exprimer dans les urnes, c’est son désir de changement. Il faut donc que cela change ! Il faut surtout que rien ne soit plus comme avant.
- Changement des hommes qui ont installé la peur et le doute ;
- Changement de la gouvernance de l’économie : agriculture, pêche, industrie artisanat, commerce, habitat, environnement, etc. ;
- Changement de la politique de la justice, de la santé, de l’éducation et de la formation ;
Il faut que cela change, parce que l’ordre du Gladiateur était un ordre criminel, anti démocratique et antipatriotique.
La victoire de Goorgorlu a été perçue à travers le monde et l’Afrique en particulier comme le geste auguste d’un semeur répandant la bonne graine. Elle a engendré une situation inédite, où chaque solution sera inédite parce que ne s’étant jamais posée ailleurs telle quelle. Pour tout le continent, Ndoumbélaan est ce laboratoire d’idées et d’intentions, où chacun sait ce qu’il veut, sans que personne ne détienne l’algorithme pour aboutir à ses objectifs. Les désirs multiples d’ici et d’ailleurs en deviennent des doléances posées à l’autel d’hommes et de femmes qui ne sont ni des dieux ni des fées. Pionniers volontaires, leurs décisions présentes et futures ne sauraient donc être exemptes d’erreurs.
Les volontés de souveraineté et de bien-être social formulées autour du « Projet », qui transcende les clivages idéologiques classiques, ne permettent pas pour l’instant de déterminer les contours d’alliés ou d’adversaires objectifs parmi la classe politique traditionnelle. En évitant ou peut-être en éludant de qualifier le type de société (socialiste ou capitaliste), pour lequel il se meut, le « Projet » ne permet pas de distinguer ou de désigner ses adversaires ou le camp potentiel de ses sympathisants naturels. Toutefois, la ligne de démarcation est telle qu’on ne peut pas être contre le « Projet » et pour le progrès ni pour le projet et contre le progrès.
Cette posture n’est ni inédite ni une faiblesse, mais bien la marque congénitale de toutes les révolutions nationales et démocratiques. C’est aux partis politiques traditionnels donc de travailler sans complexe à trouver les pôles de convergence pour amorcer un dialogue constructif. C’est un exercice difficile et même suspect dans un pays où toute forme d’alliance peut être assimilée à une « transhumance », synonyme de ralliement avec arme et bagages sans conviction aux vainqueurs, toujours mal perçue.
Malgré les sensibilités objectives et subjectives, l’analyse du contexte politique, économique et social dans lequel se sont tenues les dernières élections est généralement partagé. Toutes les couches sociales de Ndoumbélaan ont en effet senti, dans leur chair, la catastrophe qui a frappé le pays et le sinistre qui en a résulté. Fracture sociale, endettement insupportable, bradage et/ou accaparement des ressources naturelles, confiscation des libertés et de la souveraineté nationale, menace sur l’indispensable devoir de solidarité envers nos frères les plus immédiats, en lutte contre le terrorisme et l’impérialisme français en particulier.
Ndoumbélan souvent assimilé dans l’imagerie populaire à une pirogue, est bien cette embarcation en perdition, en pleine tempête, qu’un capitaine dirigeait, à dessein, vers le port de ses ennemis. Avec ses matelots incompétents et/ou malveillants, sa coque endommagée en de multiples endroits, ses machines déréglées, ses passagers traumatisés ont réussi dans un dernier sursaut à débarquer le capitaine indélicat. Mais se débarrasser du capitaine ne suffira pas.
Il va falloir changer de cap, donc redresser la barre, remplacer l’équipage non sans tenir compte de ses compétences et de ses intentions, réviser la mécanique et choisir une direction acceptée. De résultats exigés sans termes de référence et sans cahier de charges, les porteurs du « Projet » devront élaborer et partager ces outils, proposer une méthodologie et un calendrier de mise en œuvre. Cette phase théorique indispensable à la réussite, ne pourra se faire sans un diagnostic exhaustif de la situation. Elle se fera aussi et sans doute dans un climat d’impatience et de tensions sociales, avec les frustrés, les éclopés physiques et moraux (anciens pensionnaires de camps de détention, exilés, radiés, privés d’emploi, etc.), les familles endeuillées qui ont perdu les leurs (souvent des soutiens), leurs biens, tout ou parties de leur intégrité physique et/ou morale, etc.
Le désir de vivre autrement hic et nunc, la soif de vengeance et/ou de réparation, pourraient donc déboucher sur des humeurs et des malentendus que ne manqueront pas d’exploiter les adversaires du « Projet ». Il faut en effet s’attendre à voir les partisans de l’ancien régime, tenter de détruire nuitamment tout ce qui aura été construit le jour. Leurs intentions actuelles et futures affichées ou mises en sourdine, seront forcément centrées sur l’échec du « Projet ». La peur des changements envisagés, ce n’est pas seulement la perte de privilèges, la nostalgie du « pays de Cocagne » où tout leur était permis. La reddition des comptes devenue une des priorités de la demande sociale menace aussi les trésors financiers dérobés des caisses publiques, les immenses domaines fonciers issus de carnages sans scrupule et « légalisés » par une administration aux ordres. Ici, comme ailleurs, la révolution nationale est et restera une course jalonnée d’obstacles historiques posés par la puissance coloniale. Mais l’impérialisme ne peut venir seul à bout de la révolution nationale démocratique. Elle aura toujours besoin d’alliés intérieurs actifs et/ou de la neutralité passive de collectifs et d’individualités ayant opté pour des raisons spécifiques de … « laisser faire ». Il s’agit maintenant de les identifier.
Les chroniques de Bandia, Mai 2024
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