WADE POSE LES JALONS DE LA PEUR
Par Bassirou S. NDIAYE
L’Empereur adore les jalons. Durant près d’un siècle, il en a posés sur le parcours tumultueux d’une vie, dans une suite jamais logique. De l’instituteur au professeur d’université, du militant du parti unique au trône de Ndoumbélaan, en passant le « parti de contribution », les manœuvres et les intrigues, chaque jalon posé aura été un combat en soi qu’il a gagné ou perdu, comme une mise au jeu de hasard. Il s’est toujours fixé un objectif et a avancé sans état d’âme. Dans sa logique de conquérant, il est capable de tout renier sans jamais renoncer, parce que pour lui, seule la fin justifie les moyens.
Pour l’intronisation de son rejeton sacré le « plus intelligent de Ndoumbélaan », il avait posé déjà, plusieurs jalons y compris au sein de son propre camp.
Il lui a créé un magot confortable, un lourd carnet d’adresses et une escorte entièrement dévouée pour assurer la sécurité du torpilleur. Mais faute d’avoir réussi à l’imposer à son parti, il a cherché par la ruse à l’introduire dans la couvée bleue comme un œuf de cleptoparasite. Malheureusement, de puissantes serres rompues au combat politique étouffèrent dans l’œuf, l’intrus de « la génération » en gestation. Le rejeton venait d’échouer sans même livrer bataille. D’ailleurs le seul et véritable combat non clandestin qu’il a entrepris pour gagner le contrôle de la capitale, s’était soldé par une défaite cuisante. Alors pressé par le temps et les rigueurs de loi, l’Empereur s’était résolu à violer la constitution pour se maintenir le temps de poser d’autres jalons, de jouer de nouveaux tours, avec le résultat qu’on sait. On pensait qu’il retournerait aux vestiaires après un baroud d’honneur suivant en cela l’exemple de ses devanciers, à la place d’un tour d’honneur que la morale venait de lui confisquer pour mauvaise conduite.
C’est alors que survint le temps de la reddition des comptes. Oui l’impensable obligation de rendre compte en particulier pour le « golden boy de l’Alternance I » dont l’anodine invitation au Parlement, avait coûté son siège au Gladiateur. L’Empereur s’est donc senti obligé de continuer à poser des jalons, d’autres types de jalons, pour guider les premiers pas autonomes d’un prématuré politique, sevré trop vite par une alternance II qu’on n’attendait pas de sitôt. Après tout, il n’a que 88 ans au lieu de 90 comme le prétendent ses concitoyens.
Dans cet exercice, le premier jalon consistera à dire que le rejeton était un Goorgorlu sans ressources. Démasqué, il a endossé le titre peu glorieux de voleur ayant enrichi le rejeton, au même titre d’ailleurs que le Gladiateur et d’autres témoins privilégiés du pillage de la caverne d’Al Baba. C’était une manœuvre de plus pour faire admettre que son rejeton ne serait qu’un receleur, ou un complice parmi tant d’autres. En minimisant ou en relativisant le mal à être complice ou receleur d’un voleur qui s’assume en les disculpant, il cherchait alors à se poser en bouclier blindé pour protéger le fils prodige. L’Empereur est conscient que la justice de Ndoumbélaan pour des raisons plus sociologiques que politiques, épargnera sa personne. En juriste rusé, il s’est dit qu’on ne saurait pourtant l’absoudre et condamner les complices et autres receleurs. Mauvais calcul, car sans l’absoudre, l’accusation semble stratégiquement l’ignorer comme un enseignant réaliste isolerait « Toto le cancre» au fin fond d’une salle de classe de brousse.
Le troisième jalon consistant à présenter le procès comme un duel et un règlement de comptes entre « l’héritier légitime » et « l’usurpateur ingrat qui lui doit tout» a eu des résultats plutôt mitigés. La plupart des média est entrée dans ce jeu, naïvement ou pour d’autres raisons moins avouables. On ne peut que s’étonner de voir des média alimenter et vendre l’idée d’un tel duel auprès de l’opinion publique. En somme, présenter la reddition des comptes du rejeton comme une initiative isolée et personnelle du Gladiateur pour neutraliser un potentiel rival. En estant contre le rejeton de l’Empereur, le Gladiateur n’a-t-il pas fait que de s’acquitter d’une mission que l’Histoire lui a confiée ? Quels que soient par ailleurs les griefs qu’on pourrait nourrir à son endroit, ses intentions avouées et inavouées, quel que soit le gain politique qu’il pourrait tirer d’une telle opération, n’est il pas que le chargé d’une mission collective peut être trop ingrate dont les médias en particulier, ont écrit les termes de référence et défini le cahier de charges ? Les maladresses et les propos de chiffonniers jamais démentis des partisans du Gladiateur dont le parti revendique son caractère d’armée mexicaine, ont pu laisser croire qu’ils véhiculaient tous la position de leur chef qui acceptait de fait d’être le seul instigateur subjectif d’une chasse à l’homme.
C’est pourquoi, sans gagner cette partie, l’Empereur ne l’a pas totalement perdue. Le Gladiateur après ses propres maladresses vite relayées par une certaine presse, s’est résolu enfin, à prendre un peu de hauteur. De toute façon, on ne gagne pas une bataille judiciaire par la rue, car l’opinion publique n’est pas un juge désigné pour prononcer un verdict. Si elle peut avoir une influence en tant que lobby, elle n’est ni témoin, ni juré. Sa sentence est donc sans objet et son verdict n’est exécutoire que pour la postérité.
L’angle d’attaque n’ayant pas permis d’affaiblir considérablement la cible, l’Empereur se bat désormais non plus pour prouver l’innocence d’un enfant gâté, mais pour lui assurer une coupable impunité « même au prix de sa vie ». Serait-ce là le dernier jalon stérile d’un homme au soir d’une vie de « jumblang » et de « naxaate », déterminé à jeter ses dernières forces dans un combat qu’il ne peut pas se permettre de perdre ? Peut être l’assaut suicidaire d’un escroc politique qui assiste impuissant, fondre comme neige au soleil le produit de ses rêves les plus fous au propre et au figuré ?
Les choses ne sont cependant pas aussi simples. A l’aube de l’Alternance II, le procès du rejeton était une revendication sociale frisant parfois un appel populaire à une punition expéditive à défaut d’un expédition punitive contre un arrogant qui se croyait tout permis. Tout paraissait tellement évident. L’accusé qui ne pouvait aider son géniteur à boucler le budget de carburant entre deux tours d’une élection pourtant capitale, s’était retrouvé quelques années plus tard à la tête d’un empire financier occulte qui lui permettait de voyager en jet privé et de se réserver des suites dans les meilleurs hôtels de la planète. Malheureusement pour l’éthique, et heureusement pour la démocratie, il avait droit à une justice et à un éventuel procès équitable. Mais le temps et la communication ont fini par lasser Goorgorlu. La soif de justice ne suffisant pas à nourrir tous les ventres creux de Ndoumbélaan, les hommes « qui aiment à changer de maitre dans l’espoir d’améliorer leur sort » comme le disait Machiavel, ont vite fait d’accabler le Gladiateur. L’Empereur dispose donc de fait, d’une armée virtuelle potentiellement mobilisable contre le Gladiateur avec « tous ceux dont il a blessé les intérêts » et "tous ceux qui lui en ont facilité l’entrée et dont il ne peut conserver l’amitié et la fidélité par l’impuissance où il se trouve de les satisfaire autant qu’il se l’était promis … » pour paraphraser encore Machiavel.
Cette armée englobe un éventail très large de collectifs et d’individualités, allant de l’ouvrier à l’opérateur économique, du simple citoyen au militant partisan ou non, des clergés aux syndicats, des associations civiles aux forces de sécurité et de défense.
L’absence manifeste de volonté du Gladiateur en particulier pour ce qui concerne les aspirations politiques intrinsèques dont les conclusions de la CNRI sont le creuset, fait de lui un fardeau d’épines sur la calvitie des alliés signataires des conclusions des Assises Nationales.
Enfin, le PSE imposé sans réelle consultation comme alternative économique à son programme électoral, est sans fondement politique. Il crée en rendant possible, une excroissance sociale d’officiers au cœur de l’intelligentsia, de plus en plus hostiles ou en tout cas de moins en moins enclins à le défendre.
Peut-on imaginer pour autant une alliance même conjoncturelle au sein de cette armée hétéroclite aux intérêts qui sans être antagoniques, demeurent si divergents ? Comme le dit Pearl Buck, « toute chose est possible tant qu’elle ne s’est pas avérée impossible, et en ce cas, elle ne l’est que pour l’instant ». Heureusement et pour l’instant, cette alliance est objectivement impossible, subjectivement non envisageable. L’Empereur semble en avoir pris acte et opté pour une entreprise de déstabilisation par une guérilla dont l’arme privilégiée est la communication.
Pareil à un cueilleur de champignons, il fait le tour des buissons et des gros arbres, des coins et recoins de la forêt. Il récolte auprès des chapelles et des associations, des mages et des barons, des clercs et des serfs en faisant siennes leurs doléances et leurs humeurs, qu’il tente à chaque occasion de convertir en munitions ou en catalyseur d’un puissant incendie capable de brûler derrière lui, cette terre qu’il a peut-être définitivement perdue.
BANDIA, Février 2015
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