APRES LE REFERENDUM-ALIBI, LA BATAILLE CONTINUE POUR UNE VERITABLE REFONDATION INSTITUTIONNELLE !
Après la cacophonie référendaire, la Coalition Benno Bokk Yakaar crie victoire. Il faut néanmoins admettre que la victoire du président Macky Sall et de ses affidés est entachée par un taux d’abstention très élevé, qui est d’ailleurs la marque de fabrique du camp du Yakaar, qui n’arrive décidément pas à susciter l’espoir, encore moins l’enthousiasme de l’électorat sénégalais, que ce soit aux législatives de 2012, aux locales de 2014 et à cette présente consultation référendaire. Du côté du camp très hétéroclite des adeptes du NON, qui ont également peiné à mobiliser leur électorat, il s’agissait moins de rejeter le contenu du projet de réforme constitutionnelle que de protester contre une démarche contraire à l’éthique (wax waxeet) pour certains et/ou de fragiliser le pouvoir APR, quitte à user de mensonges et d’amalgames, pour d’autres.
Au total et c’est là une autre caractéristique des consultations électorales sous l’ère Macky, les résultats du référendum ne permettent aucune lecture politique sérieuse et fiable. Et ce d’autant plus qu’on a pu observer des tiraillements et lignes de fracture très nets au sein des partis et coalitions.
BREF RAPPEL SUR LES ASSISES NATIONALES
La tenue des Assises Nationales du Sénégal n’étaient ni le fruit de caprices d’intellectuels désœuvrés ni la réplique de politiciens aigris et mauvais perdants suite à leur défaite aux élections présidentielles de 2007. Elle découlait plutôt du constat général fait par l’élite politico-intellectuelle sénégalaise, au vu de la désastreuse gouvernance du régime libéral, de la nécessité d’une refondation de nos Institutions.
Devant les dérives du pouvoir libéral qui, sous plusieurs rapports, faisait pire que le précédent régime socialiste, la classe politique, dont l’essentiel avait boycotté les élections législatives de 2007 et se mouvait désormais dans des espaces extra-parlementaires, prit l’initiative de convoquer les Assises Nationales pour faire face aux risques réels de crise politique et pour amener le système politique sénégalais à engendrer de véritables alternatives politiques en lieu et place de simples alternances électorales. La défaite du camp libéral aux élections présidentielles de 2012 ne devait pas aboutir à un simple changement d’homme, ou d’équipe mais plutôt de système. Il devait s’agir, concernant ces Assises, de larges concertations nationales auxquelles même la Coalition SOPI était conviée. Contre vents et marées, les nobles idéaux véhiculés par le doyen Amadou Mahtar Mbow et ses amis allaient s’affirmer sur la scène politique nationale, se traduisant par la défaite politique mémorable du PDS et de ses affidés lors des élections locales de 2009. C’est à partir de cette date fatidique que débuta l’inéluctable descente aux enfers du régime libéral marquée par la montée en puissance du mouvement national démocratique, (y compris des organisations de la société civile, des rappeurs de Y’EN A MARRE), qui se traduisit par les rassemblements du 19 mars 2011 avec le rôle décisif joué par le groupe de presse WALFADJRI et la glorieuse journée du 23 juin 2011…etc.
Il faut signaler également la remarquable contribution de partis socio-démocrates tels que le Parti Socialiste et l’Alliance des Forces de Progrès à la réussite de ce processus.
C’est dire que la quasi-totalité des forces de gauche et organisations de la société civile alliées à certains secteurs de la bourgeoisie nationale et divers groupes socioprofessionnels étaient unanimes sur la nécessité de mettre fin à la domination de notre économie par le Capital étranger et l’urgence d’une refondation institutionnelle globale, avec un accent particulier sur :
- les droits et libertés, en expurgeant de nos textes juridiques certaines dispositions liberticides comme l’article 80,
- la consolidation de la démocratie participative,
- L’absence d’équilibre et de séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire),
- La désorganisation de l’Administration devenue de plus en plus informelle, inefficace et partisane sans critères judicieux et pertinents de recrutement,
- Le foisonnement de partis politiques sans contours idéologiques précis et identifiables,
- Une politique de décentralisation desservie par des tendances jacobines fortement ancrées au niveau de l’Etat central, viciée par des préoccupations clientélistes et politiciennes et handicapée par la modicité des ressources mises à la disposition des collectivités locales.
LA CNRI COMME MOYEN POUR DIFFERER LA MISE EN ŒUVRE DES CONCLUSIONS DES ASSISES NATIONALES
Le candidat Macky Sall et sa Coalition éponyme, bien qu’impliqués dans l’unité d’action de l’Opposition contre le pouvoir de Wade regardaient avec circonspection les conclusions et recommandations issues des Assises Nationales. Ce n’est qu’après les résultats du premier tour des élections présidentielles de février 2012 le qualifiant pour le deuxième tour, que le challenger d’Abdoulaye Wade rendra une visite de courtoisie au Président du Comité National de Pilotage des Assises Nationales. Il promettra, par la suite, d’appliquer les conclusions issues des travaux de ce forum et de réduire son mandat de sept à cinq ans.
Après sa victoire survenue le 25 mars 2012, il faudra au Président plusieurs mois pour annoncer, lors de la Journée des Institutions célébrée le 14 septembre 2012, la mise en place d’une commission nationale de réforme des institutions (CNRI), chargée de prendre en charge 11 problématiques (cf. lettre du 5 novembre 2012 traitant de la commande du Chef de l’Etat à la CNRI) inspirées essentiellement des conclusions des Assises Nationales et du programme du Yoonu Yokkute.
Cette CNRI, qui ne se mettra réellement au travail qu’après la publication des décrets l’instituant au mois de mai 2013, va initier des consultations citoyennes et de larges concertations avec les personnes-ressources et les porteurs d’enjeux et remettra son rapport au Président de la République, le 13 février 2014, presque deux ans après son élection.
Dans son rapport, la CNRI proposait deux orientations stratégiques majeures pour remédier aux dysfonctionnements institutionnels, mis en évidence par les Assises Nationales, à savoir :
- refonder les institutions pour la consolidation des acquis démocratiques et de l’Etat de droit ainsi que de la fidélité à nos valeurs;
- donner une place centrale à la citoyenneté et à l’éthique de responsabilité à travers une gouvernance nationale et locale fondée sur la participation effective des citoyens.
Pour ce faire, il fallait renforcer les pouvoirs de l’Assemblée Nationale, faire de la Justice un rempart solide de la Démocratie, amener le Président de la République à rester équidistant par rapport aux joutes politiques partisanes et enfin conférer au Premier Ministre adossé à une solide majorité parlementaire, la capacité de déterminer et de conduire une politique dont il sera entièrement responsable.
ABANDON DES PRINCIPES FONDATEURS DE LA REFONDATION INSTITUTIONNELLE
La campagne référendaire, qui vient de s’achever, a donné lieu à des pratiques détestables, (contre lesquelles les initiateurs des Assises entendaient lutter), telles que l’achat de consciences, le clientélisme politicien, l’intimidation d’adversaires politiques et la promotion de la transhumance politique dont la Coalition au pouvoir a usé et abusé.
Par ailleurs, le Conseil National de Régulation de l’audiovisuel et tous les sénégalais de bonne foi ont constaté le favoritisme dont a bénéficié le courant du OUI sur le plan de la couverture médiatique lors de cette campagne référendaire. D’éminents experts électoraux font même état de fraudes électorales avérées à Touba (bureaux fantômes) et dans plusieurs contrées éloignées de notre pays, où le courant du NON n’était presque pas représenté dans les bureaux de vote. Nous n’oublions pas le curieux incident technique à la DAF ayant empêché près de deux cent mille électeurs de participer au référendum.
Ces faits incontestables et la panne de dialogue constatée actuellement au sein du champ politique sénégalais auraient pu être évités par la mise en place d’une institution proposée par la CNRI et dénommée Agence de Régulation de la Démocratie, qui en plus du contrôle et de la supervision du processus électoral tels qu’ils sont déroulés actuellement par la CENA, ajouterait l’examen du fonctionnement et du financement des partis politiques, le contrôle du financement des campagnes électorales, ainsi que la tenue de concertations régulières entre les acteurs du jeu politique.
Du fait de la démarche unanimiste de Benno Bokk Yakaar, les dirigeants de certaines organisations prestigieuses reconnues pour leur contribution aux avancées démocratiques dans notre pays continuent de fermer les yeux devant des abus manifestes d’autorité de la part du pouvoir apériste.
L’Assemblée Nationale, restée une véritable caisse de résonnance des désidérata de l’Exécutif, continue de subir les contrecoups de la proposition de loi n° 13/2015 modifiant la loi n°2002-20 modifiée du 15 mai 2002 portant règlement intérieur de cette Institution. Sa vertu présumée consiste à réserver les strapontins, prébendes et privilèges à ceux qui restent fidèles au Prince, quoiqu’il arrive. Dans l’état actuel des choses, elle prive le premier parti d’opposition de groupe parlementaire, ce qui va à l’encontre du projet de réforme constitutionnelle, qui recommande le renforcement des droits de l’Opposition et de son Chef.
On note aussi de sérieux dysfonctionnements du système judiciaire avec la longue pause observée dans la marche de la CREI, dont certains potentiels clients ont déjà rejoint le camp présidentiel ou s’apprêtent à le faire, à la faveur de la victoire du OUI référendaire. A contrario, la multiplication des convocations à la DIC et les longues détentions préventives arbitraires pour délits d’opinion ou offense au Chef de l’Etat (particulièrement celles d’opposants au régime) illustrent la soumission de certains secteurs de la Justice à l’Exécutif. Et pourtant, la CNRI avait préconisé l’institution d’un Juge des Libertés, pour mettre fin à ce genre d’abus.
Ce sont là quelques exemples de reniement des principes fondateurs des Assises Nationales et du tort causé à la Nation par l’étroitesse de vue de la grande Coalition Benno Bokk Yakaar, qui en prétendant lutter contre la restauration du pouvoir PDS est en train de créer les conditions pour l’émergence d’un régime APR fort et peu soucieux des principes et normes démocratiques.
Il devient dès lors évident, que cette consultation référendaire, qui devait être le couronnement du processus des Assises Nationales a été vidée de son sens par le président de la République, aidé en cela par ses alliés politiques. Le reniement sur la réduction du mandat n’est en définitive que l’aboutissement de la dynamique de renoncement aux principes fondateurs de la refondation institutionnelle telle que prônée par les Assises Nationales.
LEURRES ET LUEURS D’UN PROJET DE REFORME CONSTITUTIONNELLE
22 mois après la remise du rapport de la CNRI et alors que le pays tout entier s’acheminait vers les élections présidentielles et législatives de février-mars 2017, le Président de la République, lors de son adresse à la Nation du 31 décembre 2015, rend publique la première esquisse de son projet de révision constitutionnelle, qu’il promet de soumettre au référendum après avoir recueilli l’avis du Président de l’Assemblée Nationale et celui du Conseil constitutionnel.
Le 16 février 2016, se produit un coup de théâtre ! Le président Sall, qui avait clamé urbi et orbi sa ferme volonté de respecter son engagement à réduire le mandat présidentiel à cinq ans et à l’appliquer à celui en cours se dédit en prétextant une "décision" du Conseil Constitutionnel. Il sera démenti par quarante-cinq sommités du Droit, qui préciseront qu’en fait de décision, il ne s’agissait que d’un avis à caractère consultatif, que le Président, clé de voûte des Institutions, aurait bien pu ignorer pour honorer son engagement personnel à écourter son mandat.
On peut donc considérer comme un signe de mauvais augure, le fait que l’adoption du projet de réforme constitutionnelle ait commencé par un reniement scandaleux, ce qui ajouté à l’extrême précipitation à vouloir organiser le référendum dans un délai d’un mois, a faussé tout le processus référendaire en empêchant des concertations larges et inclusives et des négociations pour étoffer le package référendaire, au sein duquel la question de la réduction immédiate du mandat pouvait être l’une des moins compliquées à résoudre.
La caractéristique principale du projet de réforme constitutionnelle proposé par le Président de l’APR est qu’elle passe sous silence les problématiques liées à l’équilibre et à la séparation des pouvoirs.
Ainsi, les pouvoirs du président de la République restent intacts.
Les mécanismes de renforcement des pouvoirs de l’Assemblée Nationale sont occultés. Par exemple, rien n’a été dit sur le mode de scrutin majoritaire à un tour avec prédominance de la liste majoritaire. Or, c’est par ce procédé inique que le Chef de l’Exécutif, s’assure de majorités confortables et disproportionnées au sein de l’Assemblée Nationale. Comment une telle Assemblée Nationale peut-elle objectivement contrôler l’action d’un gouvernement mis en place pour appliquer la politique définie par le Chef de l’Etat, auquel l’écrasante majorité des députés (en tenant compte de l’effet amplificateur des Coalitions fourre-tout et de la transhumance) doivent leur élection ou plutôt leur nomination ? Par ailleurs, on ne perçoit, à travers le projet présidentiel, aucun souci de contrer les abus de majorité tels qu’on est en train de les vivre présentement au Parlement, contrairement à l’avant-Projet de la CNRI, qui avait fait des propositions audacieuses pour une participation effective de l’opposition au travail parlementaire.
Concernant le Conseil Constitutionnel, les quelques mesures proposées ne suffiront pas à redorer son blason terni par la complaisance, dont il a toujours fait preuve vis-à-vis de l’Exécutif, aussi bien lors de la controverse autour du troisième mandat du président Wade que lors de cette récente affaire de réduction du mandat du président Macky Sall. Comme le dit si bien le secrétariat du PIT-Sénégal, un des partis alliés de l’APR au sein de la Coalition Benno Bokk Yakaar : "Il demeure ainsi constant que la controverse suscitée par cet avis du Conseil Constitutionnel rajoute à la mauvaise perception ambiante du Pouvoir judiciaire du Sénégal, jugé inféodé au Pourvoir exécutif".
En lieu et place d’un élargissement du Conseil Constitutionnel à deux autres membres choisis par le Président d’un Parlement croupion, la CNRI avait proposé le remplacement du Conseil Constitutionnel par une Cour constitutionnelle ainsi composée : 3 magistrats désignés par PR sur six noms proposés par le Conseil Supérieur de la Magistrature; 1 professeur titulaire de droit, choisi par le Président de l’Assemblée nationale sur une liste proposée par les différentes universités du pays ; 1 avocat désigné par le Bureau du Conseil de l’Ordre des Avocats; 1 membre choisi par le Premier Ministre et 1 personnalité choisie par le Président de l’Assemblée nationale sur une liste de trois (3) noms proposée par le collectif des associations des droits de l’Homme et de promotion de la Démocratie.
Pour garantir une réelle indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’Exécutif, la CNRI avait également proposé que le Président de la Cour Constitutionnelle soit élu par ses pairs parmi les magistrats pour une durée de trois (3) ans renouvelable une fois.
La CNRI avait également fait de cette Cour constitutionnelle la plus haute juridiction de l’Etat et l’avait doté d’attributions significatives permettant à la Justice de notre pays de devenir un véritable pouvoir autonome par rapport à l’Exécutif.
Nous ne nous attarderons pas sur certains points comme ceux traitant de la modernisation du rôle des partis politiques, de la participation des candidats indépendants à tous les types d’élection, de la reconnaissance de nouveaux droits (environnement, foncier, ressources naturelles), du renforcement de la citoyenneté, autant de questions dont la matérialisation réelle est liée à une démocratisation véritable de la vie politique reposant sur un équilibre des pouvoirs.
Pour ce qui est de la décentralisation, son approfondissement ne viendra certainement pas de la création du Haut Conseil des Collectivités Locales destiné à caser une clientèle politique, encore moins de la simple constitutionnalisation des principes de la décentralisation et de la déconcentration mais plutôt de l’amélioration de la représentativité des conseils de collectivités locales et d’un transfert de ressources à la hauteur des compétences cédées par l’Etat central.
On est obligé de constater la capitulation flagrante des états-majors de certains partis de gauche, qu’ils soient membres de la Confédération pour la Démocratie et le Socialisme ou de la mouvance socio-démocrate. Cela se traduit par des crises internes au niveau de l’Alliance des Forces de Progrès, qui a connu une scission et du parti socialiste, dont certains dirigeants de premier plan se démarquent de plus en plus de la ligne de soumission du premier secrétaire pressenti pour diriger le Haut Conseil des Collectivités Locales. Face à l’obstination des leaders de la Coalition Benno Bokk Yakaar à soutenir un Président hostile à toute véritable refondation institutionnelle, enclin à promouvoir la transhumance politique et complaisant vis-à-vis firmes capitalistes occidentales, il faudra bien que des forces se rassemblent pour perpétuer l’héritage des Assises Nationales du Sénégal.
NIOXOR TINE
leelamine@nioxor.com
- Dr Mohamed Lamine LY: la réforme des institutions, préalable a l’émergence économique
- Sidy Moctar Cissé : Lecture comparée des propositions du PR et des recommandations de la CNRI
Commenter cet article