ATELIER DE CONSENSUS POUR LA MISE SUR PIED D'UNE COALITION POUR LA SANTE
Il est maintenant établi que le niveau d’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), a été particulièrement décevant en Afrique au sud du Sahara. Même si çà et là, des acquis ont été engrangés, on note, de manière générale, la persistance et l’extension de disparités notoires dans la Région Africaine, surtout eu égard aux défis que constituent les taux élevés de mortalités maternelle et infantile, de la malnutrition et la faiblesse des systèmes de santé.
Notre pays dispose de beaucoup d’atouts historiques et sociologiques pour mettre en place un système sanitaire performant dans l’intérêt exclusif de nos populations.
Mais pour y arriver, il faudra que les divers groupes socioprofessionnels, les organisations de la société civile aillent au-delà de leurs intérêts sectaires et corporatistes, s’approprient des principes de l’approche communautaire et renforcent la collaboration multisectorielle.
C’est pour cela, qu’il est nécessaire de mettre sur pied une grande Coalition pour la Santé et l’Action sociale pour contribuer à une meilleure synergie de la pluralité d’acteurs intervenant sur les problématiques sanitaires.
CONTEXTE ET JUSTIFICATION
Malgré l’apport significatif de la médecine moderne (introduite durant la période coloniale) au bien-être de nos populations, il faut reconnaître que son appropriation a été tardive et reste encore inachevée. En effet, pour le colonisé, le système sanitaire était considéré comme une Institution établie par le pouvoir colonial, qui était surtout centrée sur le contrôle des endémies (trypanosomiase, malaria, pian, variole), d’où sa structuration verticale. On notait également une volonté farouche d’évincer les parcours de soins traditionnels par des structures sanitaires, à vocation militariste ou confessionnelle.
Après son accession à la souveraineté nationale, notre pays, le Sénégal, a hérité de cette organisation du système, avec accentuation de l’approche-programme, avec prédominance de la composante curative. Ce n’est qu’avec la fin définitive de l’Etat-Providence qu’apparaîtra la philosophie des soins de santé primaires adoptée en 1978 à Alma-Ata, prônant l’approche préventive et l’implication des communautés, tout en veillant à l’équité, avec en toile de fond la volonté de procurer la Santé pour tous en l’an 2000.
Le système sanitaire sénégalais fut, dès lors, caractérisé par une logique de recouvrement de coûts centrée sur le médicament. C’est ainsi que sera plus tard mis en place en 1987 un système d’autofinancement du coût des médicaments essentiels génériques plus connu sous le vocable d’Initiative de Bamako, lequel fut ensuite étendu aux prestations (actes) et à tous les niveaux de la pyramide sanitaire. Les ressources ainsi obtenues furent gérées de concert avec des organes de participation communautaire (comités de santé).
En 1998, l’Assemblée Mondiale de la Santé prit un engagement solennel pour l’amélioration de la santé des populations, surtout les plus démunies. Cela conduisit à la politique de Santé pour Tous au 21ième siècle, qui réaffirma l’engagement en faveur des soins de santé primaires, avec une volonté d'amélioration de la transparence et de décentralisation de la gestion des systèmes de santé publique.
DESENGAGEMENT DE L’ETAT ET ABANDON DE L’EQUITE
Malheureusement, on a très souvent abouti à une situation contraire à celle espérée, à savoir le désengagement progressif de l’Etat avec abandon concomitant des principes d’équité au profit des illusions de l’efficacité organisationnelle.
En outre, la participation communautaire à la Santé, qui devait garantir l’implication des communautés de base dans la stratégie des soins de santé primaires fut dévoyée. Elle se réduisait à des comités de santé caporalisés par des politiciens et caractérisés par une gouvernance désastreuse (détournements de fonds, non-respect des délais de renouvellement, absence de reddition de comptes…).
C’est ainsi que les recettes issues de la participation financière à l’effort de santé, en plus d’être mal gérées, ont très souvent été utilisées à prendre en charge des dépenses qui n’étaient pas de leur ressort (recrutements de personnels vacataires, acquisition d’équipements médicaux, achat de médicaments de spécialités non disponibles au niveau de la pharmacie IB, voire travaux de génie civil).
Cela conduisit à une augmentation des tarifs atteignant parfois des niveaux incompatibles avec le pouvoir d’achat de la majorité de la population.
C’est dans ce contexte, où les principes d’Alma-Ata régissant les soins de santé primaires étaient vidés de leur véritable substance, que deux grandes réformes initiées par le gouvernement sénégalais vont marquer durablement le système sanitaire de notre pays : il s’agit de la loi sur la Décentralisation de 1996 et de la Réforme Hospitalière.
LOIS DE LA DECENTRALISATION
En 1996, le président de la République initia une importante loi sur la Décentralisation conférant des pouvoirs accrus aux Collectivités Locales, grâce au transfert de neuf compétences, dont celle relative à la Santé et à l’Action sociale.
Cette réforme, bien que pertinente dans le principe a méconnu certaines réalités du système sanitaire, notamment :
¨ la mise en place des districts sanitaires se traduisant par une plus grande autonomie et une plus grande flexibilité des services de santé de base,
¨ et le renforcement des capacités des comités de santé à partir de 1992 avec la mise en œuvre de l’initiative de Bamako.
C’est pourquoi, on a constaté la non-fonctionnalité des comités de gestion prévus par le décret n° 96-1135 du 27 décembre 1996, à cause des sérieuses difficultés de la quasi-totalité des collectivités locales, disposant de faibles capacités techniques et administratives, à gérer des structures sanitaires. Ces dernières répondaient à des médecins-chefs de district ayant une expérience avérée en planification (plans de développement des districts sanitaires) et en gestion budgétaire.
Toujours est-il qu’en fin de compte, on a assisté à la mise en place tardive des budgets ou leur détournement au profit d’autres secteurs ou à d’autres fins, ce qui a induit une augmentation des charges incombant aux comités de santé devenus, par la force des choses, la principale source de financement du fonctionnement des structures sanitaires.
Autant dire que le processus de décentralisation a induit des dysfonctionnements dans la marche des districts, difficultés que la dernière réforme, celle de l’Acte 3, n’a fait qu’accentuer.
LA REFORME HOSPITALIERE
Pour ce qui est de la Réforme Hospitalière, c’est le 12 février 1998, que l’Assemblée Nationale du Sénégal adopta deux lois complémentaires, la première intitulée «loi portant réforme hospitalière", la seconde intitulée "loi relative à la création, à l’organisation et au fonctionnement des établissements publics de santé". Selon l’Etat sénégalais, le but de la Réforme Hospitalière était d’améliorer les performances des hôpitaux aussi bien sur le plan de la gestion que celui de la qualité des soins.
Il faut reconnaître, que jusqu’au milieu des années 90, le système hospitalier sénégalais était mal en point, du fait de l’insuffisance des dotations budgétaires étatiques contrastant avec la pesante tutelle de l’administration centrale. Par ailleurs, les recettes issues des prestations et gérées par les APH faisaient l’objet de mauvaise gestion. Ce manque de moyens conduisit à une détérioration drastique de la qualité des soins à cause de plateaux techniques obsolètes, de ruptures de stock de médicaments, consommables et réactifs, de conditions d’hôtellerie désastreuses…
En définitive, malgré cette réforme, la crise du système hospitalier ne connut aucune accalmie mais plutôt une aggravation manifeste.
Les hôpitaux sénégalais ont vécu de sérieuses difficultés, depuis la mise en place de cette Réforme hospitalière, avec la démultiplication des grèves, une hypertrophie des personnels administratifs et de soutien, un endettement sans précédent des hôpitaux dû principalement à de ruineuses politiques de gratuité (plan sésame), mais aussi à des dépassements budgétaires de triste mémoire.
Cette crise hospitalière a d’ailleurs donné lieu à une grande Concertation Nationale sur le système hospitalier, en octobre 2006, dont les autorités du Ministère en charge de la Santé se refusent encore à tirer les enseignements, en "réformant la Réforme Hospitalière".
Et pourtant, il demeure indéniable que, jusqu’à présent, les citoyens sénégalais, dans leur écrasante majorité, rencontrent d’énormes difficultés en ce qui concerne l’accès aux soins curatifs, surtout lorsqu’ils se trouvent en situation d’urgence, confrontés à des affections mettant leur vie en danger.
En effet, en plus du mauvais accueil, qui constitue un véritable casse-tête, même pour les autorités ministérielles, on observe presque quotidiennement le cas d’urgences médicales refoulées sans ménagement de structures de soins - très souvent pour défaut de paiement d’avances au comptant - puis trimbalées de structure en structure dans des taxis ou voitures particulières, avec parfois des issues fatales.
INSUFFISANCES NOTOIRES DU SYSTÈME DE SOINS
C’est ce qui nous conduit à penser, que notre système sanitaire est caractérisé par son incapacité à fournir une offre de soins à même de faire face à une demande de soins toujours croissante et plus diversifiée, du fait de la transition épidémiologique.
Les manquements liés à la carte sanitaire (insuffisance d’infrastructures et d’équipements), la faible disponibilité de médicaments et consommables, le déficit en ressources humaines qualifiées et motivées…etc.) favorisent le développement d’un secteur privé semi-informel, qui vampirise le secteur public par la pratique du travail noir, créant une médecine à deux vitesses (pour riches et pauvres).
La CMU, nouveau cheval de bataille des autorités politiques de notre pays, est entrain de plomber le budget des structures de santé qui ont du mal de recouvrer à temps les sommes dues pour renouveler leur stock de médicaments. Ainsi les patients ont certes une consultation gratuite mais sortent des structures de santé avec des ordonnances qui sont hors de portée de leur bourse
On peut donc s’accorder sur le fait que le système public de santé sénégalais traverse une crise profonde et multiforme, que les structures de soins sont le théâtre de drames quotidiens, parfois relayés par la presse, sans compter les taux de mortalité encore trop élevés
EVALUATION DU SYSTEME SANITAIRE SENEGALAIS
MISE EN PLACE D’UNE COALITION POUR LA SANTE
Face à la diversité des acteurs et de leurs motivations et après avoir passé en revue les forces et faiblesses du système sanitaire sénégalais, nous sommes arrivés à la conclusion de la nécessité de mise en place d’un cadre citoyen d’évaluation des politiques publiques de santé et d’action sociale. Ce cadre, qui se veut une force de propositions et de contrepropositions, est apolitique, laïc, ouvert et inclusif.
Il ambitionne de sortir des sentiers battus et d’amener l’Etat sénégalais à renégocier certains aspects des interventions des Partenaires Techniques et Financiers, qui devront prendre en compte nos priorités nationales.
L’article 8 de la Constitution sénégalaise garantit à tout citoyen le droit à la Santé. Nous nous attacherons, autant que faire se peut, à matérialiser ce principe, pour bannir de notre vécu quotidien, les trop nombreux cas de non-assistance à des urgences médico-chirurgicales.
Mais au-delà de la prise en charge des urgences vitales, nous ambitionnons de promouvoir une vision holistique avec une approche sociale de la santé, prenant en compte les déterminants sociaux de la santé, c’est-à-dire les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie.
C’est dire que la Coalition s’intéressera de très près aux causes sociales de la santé et de la maladie et initiera ou soutiendra toutes les interventions portant sur les déterminants que sont le niveau de revenu et le statut social, les réseaux de soutien social, l’éducation et l’alphabétisation, l’emploi et les conditions de travail, le développement de la petite enfance, l’addiction, l’alimentation, le transport, le stress, l’exclusion sociale…
Notre Coalition défendra le principe de revenu minimum pour les couches les plus défavorisées. Elle plaidera pour l’accroissement des capacités d’intervention des communautés et de leurs élus à tous les niveaux. Elle exigera la revalorisation des soins de santé primaires, surtout ceux touchant les plus démunis. Elle réclamera le renforcement des mécanismes de protection sociale des couches vulnérables (soutien aux mutuelles) ainsi que l’amélioration du ciblage et des modalités de remboursement des initiatives de gratuité.
Elle militera pour le principe de la prédominance du secteur public avec un rôle d’appoint dévolu à la médecine privée. En effet, notre Coalition, considère le secteur privé de la Santé, comme incontournable pour garantir la continuité d’un service public de qualité. C’est pourquoi, il souhaite développer des relations de partenariat fécondes avec l’Alliance du Secteur privé de la santé.
Notre Coalition jouera le rôle d’observatoire du système socio-sanitaire. Elle aura une fonction d’alerte et de veille sur la gouvernance sanitaire. Elle se battra pour la promotion de normes de transparence, d’équité et de liberté au sein des structures sanitaires. Elle préconisera un accueil reposant sur une communication et une éthique liées aux soins. Elle veillera à la disponibilité et à l’accessibilité des soins pour toutes les couches sociales à tous les niveaux. Elle demandera aux autorités sanitaires d’accorder une priorité absolue aux soins d’urgence. Elle œuvrera pour le développement des services de dépistage et la continuité de la prise en charge des patients souffrant d’affections chroniques, à soins coûteux. Elle s’impliquera dans le processus de mise aux normes des structures sanitaires sur le plan des plateaux techniques (carte sanitaire). Elle œuvrera pour le renforcement de la place des génériques dans la politique du médicament.
CONCLUSION
La Coalition que nous entendons mettre en place se dressera contre toutes formes d’exclusion des couches vulnérables du système de soins.
Dans ce cadre, elle œuvrera avec toutes les forces intéressées par la philosophie des soins de santé primaires en mettant le focus davantage sur l’équité, la prévention et la maîtrise des déterminants sociaux de la Santé que sur une approche strictement curative. Elle militera pour une véritable couverture sanitaire universelle, en appuyant les pouvoirs publics pour apporter les correctifs nécessaires.
Enfin, elle travaillera de concert avec la société civile (associations de consommateurs, syndicats), les travailleurs sociaux, les diplômés de sciences sociales et toutes personnes-ressources pour favoriser l’émergence d’espaces de dialogue et de concertation sur le système sanitaire national.
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