PLAIDOYER POUR UNE COALITION DES ACTEURS DE LA SANTE.
Nul ne peut méconnaître certains succès du système sanitaire sénégalais, qui semble cependant traverser une crise de croissance et/ou d’orientation. Il s’y ajoute qu’il a subi de plein fouet les contrecoups de réformes initiées en son sein ou hors de son domaine de responsabilité.
DE L’HERITAGE COLONIAL AU DEVOIEMENT DES PRINCIPES D’ALMA-ATA
Il faut dire que les dysfonctionnements datent de la période coloniale. En effet, pour le colonisé, le système sanitaire était considéré comme une Institution établie par le pouvoir colonial, qui était surtout centrée sur le contrôle des endémies (trypanosomiase, malaria, pian, variole…), d’où sa structuration verticale. Après son accession à la souveraineté nationale, notre pays, le Sénégal, a hérité de cette organisation du système, avec accentuation de l’approche-programme et prédominance de la composante curative.
Ce n’est qu’avec la fin définitive de l’Etat-Providence qu’apparaîtra la philosophie des soins de santé primaires adoptée en 1978 à Alma-Ata, prônant l’approche préventive et l’implication des communautés, tout en veillant à l’équité, avec en toile de fond la volonté de procurer la Santé pour tous en l’an 2000.
En 1998, l’Assemblée Mondiale de la Santé prit un engagement solennel pour l’amélioration de la santé des populations, surtout les plus démunies. Cela conduisit à la politique de Santé pour Tous au 21ième siècle, qui réaffirma l’engagement en faveur des soins de santé primaires, avec une volonté d'amélioration de la transparence et de décentralisation de la gestion des systèmes de santé publique.
Malheureusement, on aboutit très souvent à une situation contraire à celle espérée, à savoir le désengagement progressif de l’Etat. C’est ainsi que les recettes issues de la participation financière à l’effort de santé, en plus d’être mal gérées, ont très souvent été utilisées à prendre en charge des dépenses qui n’étaient pas de leur ressort (recrutements de personnels vacataires, acquisition d’équipements médicaux, …). Cela conduisit à une augmentation des tarifs atteignant parfois des niveaux incompatibles avec le pouvoir d’achat de la majorité de la population.
DES REFORMES INADAPTEES AU CONTEXTE SOCIO-SANITAIRE
C’est dans ce contexte, où les principes d’Alma-Ata régissant les soins de santé primaires étaient vidés de leur véritable substance, que deux grandes réformes initiées par le gouvernement sénégalais vont marquer durablement le système sanitaire de notre pays : il s’agit de la loi sur la Décentralisation de 1996 et de la Réforme Hospitalière.
Au bout du compte, le transfert de la compétence Santé, qui dès l’entame, a occulté les réalités du système sanitaire (district) ne fut pas effectif. On constata la non-fonctionnalité des comités de gestion prévus par le décret n° 96-1135 du 27 décembre 1996, à cause des sérieuses difficultés de la quasi-totalité des collectivités locales, disposant de faibles capacités techniques et administratives, à gérer des structures sanitaires. Autant dire que le processus de décentralisation a induit des dysfonctionnements dans la marche des districts, difficultés que la dernière réforme, celle de l’Acte 3, n’a fait qu’accentuer.
Pour ce qui est de la Réforme Hospitalière, c’est le 12 février 1998, que l’Assemblée Nationale du Sénégal adopta deux lois complémentaires, la première intitulée «loi portant réforme hospitalière", la seconde intitulée "loi relative à la création, à l’organisation et au fonctionnement des établissements publics de santé". Selon l’Etat sénégalais, le but de la Réforme Hospitalière était d’améliorer les performances des hôpitaux aussi bien sur le plan de la gestion que celui de la qualité des soins.
Il faut reconnaître, que jusqu’au milieu des années 90, le système hospitalier sénégalais était mal en point, du fait de l’insuffisance des dotations budgétaires étatiques contrastant avec la pesante tutelle de l’administration centrale. En définitive, malgré cette réforme instaurant une autonomie de gestion jugée excessive par certains,, la crise du système hospitalier ne connut aucune accalmie mais plutôt une aggravation manifeste.
Les hôpitaux sénégalais ont vécu de sérieuses difficultés, depuis la mise en place de cette Réforme hospitalière, avec la démultiplication des grèves, une hypertrophie des personnels administratifs et de soutien, un endettement sans précédent des hôpitaux dû principalement à de ruineuses politiques de gratuité (plan sésame), mais aussi à des dépassements budgétaires de triste mémoire.
Cette crise hospitalière a d’ailleurs donné lieu à une grande Concertation Nationale sur le système hospitalier, en octobre 2006, dont les autorités du Ministère en charge de la Santé se refusent encore à tirer les enseignements, en "réformant la Réforme Hospitalière".
IMPACT DE LA PAUVRETE SUR LA SANTE
Il est maintenant établi que le niveau d’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), a été particulièrement décevant en Afrique au sud du Sahara. Même si çà et là, des acquis ont été engrangés, on note, de manière générale, la persistance et l’extension de disparités notoires dans la Région Africaine, surtout eu égard aux défis que constituent les taux élevés de mortalités maternelle et infantile, de la malnutrition et la faiblesse des systèmes de santé.
Ces faibles performances sanitaires ne sont pas à mettre entièrement sur le compte du Secteur de la Santé et de l’Action sociale, mais relèvent plutôt de déterminants socio-économiques. De fait, nos pays sont confrontés à d’innombrables catastrophes naturelles (inondations ou sécheresse, invasion de sautereaux…) et à des fléaux sanitaires historiquement liés à la pauvreté que sont les épidémies dues à des maladies infectieuses et les multiples complications des maladies tropicales négligées (cécité, infirmités, voire décès).
Il est du devoir de l’Etat, de préserver ses citoyens de la détresse sociale, qui pourrait découler d’une perte de revenus consécutive à la maladie. Les pouvoirs publics doivent donner aux personnes démunies les moyens d’échapper au cercle vicieux de la pauvreté et de la maladie.
D’ailleurs, si l’on s’en réfère aux discours officiels, le gouvernement sénégalais s’inscrirait dans la perspective "de placer la protection sociale au cœur du Plan Sénégal Emergent, en vue d’un développement soutenu du capital humain dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales". Il y a, certes, des initiatives louables telles que la CMU, les bourses de solidarité familiales ou la carte d’égalité des chances censées atténuer les conséquences les plus intolérables de la pauvreté. Il faut néanmoins reconnaître, qu’il y a fort à faire dans un pays récemment classé parmi les 25 pays les plus pauvres de la planète, surtout quand on connaît les liens étroits entre la santé de nos populations et l’environnement socio-économique.
Mais ce qu’on sait moins, c’est que l’organisation du système de santé peut impacter positivement ou négativement sur la pauvreté. En effet, le système sanitaire est censé protéger les citoyens contre les chocs financiers liés à la maladie et le basculement dans la pauvreté.
ATOUTS ET FAIBLESSES DU SYSTEME SANITAIRE
Notre pays dispose de beaucoup d’atouts historiques et sociologiques pour mettre en place un système sanitaire performant dans l’intérêt exclusif de nos populations.
En matière de leadership et gouvernance, on peut se réjouir de l’existence d’un plan national de développement sanitaire (PNDS 2009-2018), censé déterminer une orientation claire pour le système sanitaire. On doit, néanmoins, déplorer une déficience de l’autorité gouvernementale dans certains domaines comme la réglementation de la pratique privée de la médecine, non seulement en rapport avec les autorisations d’exercer dans le privé, mais aussi par l’intrusion de comportements mercantilistes au sein des structures publiques. D’autres aspects réglementaires laissent également à désirer tels que ceux ayant trait à la médecine traditionnelle, la publicité en faveur des tradipraticiens, à la dépigmentation artificielle…
Cela se traduit par des dysfonctionnements au niveau de l’offre de soins, car le système n’arrive pas à matérialiser, comme il le faudrait, l’article 8 de la Constitution sénégalaise, qui garantit à tout citoyen le droit à la Santé. Il importe, dès lors, de matérialiser ce principe sacro-saint, pour bannir de notre vécu quotidien, les trop nombreux cas de non-assistance à des urgences médico-chirurgicales. Les autorités sanitaires se doivent d’accorder une priorité absolue aux soins d’urgence, d’organiser un accueil reposant sur une communication et une éthique liées aux soins et de veiller à la disponibilité et à l’accessibilité des soins pour toutes les couches sociales à tous les niveaux.
Mais au-delà de ces aspects liés à l’offre de soins curatifs, il faudra promouvoir une vision holistique avec une approche sociale de la santé, prenant en compte les déterminants sociaux de la santé. C’est dire qu’il faudra s’intéresser de très près aux causes sociales de la santé et de la maladie et initier ou soutenir toutes les interventions portant sur les déterminants que sont le niveau de revenu et le statut social, l’emploi et les conditions de travail, l’exclusion sociale…
A cet égard, la couverture maladie universelle, actuellement mise en œuvre par le gouvernement peine à produire les effets escomptés. En effet, c’est un fait indéniable que le paiement excessif des soins reste la principale caractéristique de notre système sanitaire, malgré le saupoudrage que constituent les initiatives de gratuité mal élaborées qui, soit ne concernent que des soins primaires peu coûteux, soit sont rendues inefficaces par un déficit de communication et de multiples entraves bureaucratiques.
Par ailleurs, on note une insuffisance de l’offre (déficit d’infrastructures et d’équipements, ruptures de stock de médicaments, consommables et réactifs, manque de ressources humaines…) face à une demande croissante à cause des effets induits de la CMU et de l’émergence des maladies non transmissibles chez une population comptant de plus en plus de personnes âgées.
Le système sanitaire devra aussi être rééquilibré pour s’extraire de sa tendance vers le « tout hospitalier » et renouer avec la philosophie des soins de santé primaires, qui demeure plus actuelle que jamais et s’appesantit davantage sur les programmes préventifs et promotionnels au niveau communautaire.
Malheureusement, les arbitrages budgétaires nationaux sont loin de se faire au profit du secteur de la santé en général et celle des plus démunis, en particulier. Il y a d’abord le fait que, dans un contexte de double transition (démographique et épidémiologique), les pays africains font face à de nouveaux défis sanitaires, que le secteur public seul n’arrive pas à relever, à cause du désengagement de l’Etat.
Autant dire que la gestion des risques sanitaires revient, à titre principal, aux ménages, avec risque d’exclusion des plus pauvres.
POUR UN OBSERVATOIRE DES POLITIQUES PUBLIQUES DE SANTE
Une des grandes contraintes pesant sur le système socio-sanitaire sénégalais est le manque de forces de contre-propositions pour modérer les penchants politiciens propres à tout pouvoir politique.
Au niveau du monde enseignant, une organisation telle que la COSYDEP, qui se veut une organisation de la société civile, joue un rôle de plus en plus reconnu en tant que "cadre stratégique de réflexion dans la définition et la mise en œuvre des politiques d’éducation en vue de promouvoir le droit à une éducation publique de qualité, gratuite, inclusive et accessible à tous".
Il demeure que le secteur de la Santé et de l’Action sociale reste caractérisé par une pléthore de cadres organisationnels allant des ordres professionnels (dentistes, pharmaciens, médecins) aux syndicats et associations de consommateurs, en passant par les organisations communautaires et Amicales et associations, qui semblent prêcher pour leurs chapelles respectives et servent très souvent de faire-valoir à des initiatives inspirées, la plupart du temps, par des partenaires techniques et financiers et avalisées par l’Etat sénégalais. C’est dire que cet éparpillement et cette absence de concertation sont à l’origine de la faiblesse des contre-pouvoirs dans le secteur.
Considérant les multiples entorses à une gestion transparente constatées dans plusieurs établissements publics de santé, il est de la plus haute importance que soit mis en place un observatoire du système socio-sanitaire, qui aura des fonctions de veille et d’alerte sur la gouvernance sanitaire.
Pour éviter que notre système sanitaire continue d’être l’otage de divers groupes de pression, tous les acteurs du système de santé et la société civile sont interpelées pour sortir la Santé et l’Action sociale du ghetto, dans lequel certains lobbies obscurs veulent l’enfermer et en faire l’affaire des masses populaires de notre pays.
Dr MOHAMED LAMINE LY
1.POUR UNE SYNERGIE DES ACTEURS DE LA SANTE !
2.POUR UN OBSERVATOIRE CITOYEN DES POLITIQUES PUBLIQUES DE SANTE
3.SYSTEME SANITAIRE SENEGALAIS : POUR UN NOUVEAU DEPART !
4.POUR UN FRONT UNI CONTRE LA MISERE ET LA MALADIE !
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