L’ÉQUATION DU TROISIÈME MANDAT
L’explosion d’une pirogue sénégalaise remplie de jeunes gens cherchant désespérément à rallier l’Europe renseigne beaucoup plus sur l’état de la démocratie africaine que les mascarades électorales, coups d’état constitutionnels et autres putschs militaires, qui tendent à devenir notre lot quotidien.
Ce fait symbolise l’échec de cette classe politique peu soucieuse d’améliorer le sort de son peuple, mais prise d’une sorte de frénésie électoraliste, ne vivant que par et pour des positions de pouvoir.
C’est l’électoralisme, qui est à l’origine des violents soubresauts qui agitent la sous-région ouest-africaine, quand des autocrates gâteux, mais aussi des jeunes loups aux dents longues font montre d’un insatiable appétit de pouvoir. Ils réclament des mandats additionnels et indus, qui viennent souvent couronner une gestion catastrophique.
Et pourtant, ce phénomène du troisième mandat auquel les forces démocratiques – particulièrement la jeunesse – sont si allergiques ne fait que traduire l’inexistence d’un État de droit dans un contexte d’un présidentialisme hypertrophié écrasant les autres institutions, que sont les pouvoirs judiciaire et législatif.
La vie démocratique est réduite à un cirque électoral, ne permettant pas aux masses populaires de défendre leurs droits économiques et sociaux.
Tous les contre-pouvoirs sont neutralisés par l’intimidation et/ou la corruption. Les droits et libertés sont bafoués avec interdiction de manifester, limitation du droit d’expression et institution d’un délit de mal-pensance ...
Même le fair-play démocratique semble avoir fait long feu, du fait qu’on n’hésite plus à licencier ses adversaires, à les faire radier des listes électorales, quand on ne les fait pas emprisonner.
Le processus électoral est truqué sous la supervision d’une CENI aux ordres.
Des franges importantes de la classe politique semblent s’accorder sur les règles du jeu politique, à savoir la corruption électorale et pire, l’instrumentalisation de l’appartenance ethnique ou tribale à des fins politiques partisanes.
Cette "ethno-stratégie" conduit par exemple certains jeunes guinéens à réclamer des armes pour installer leur mentor au pouvoir, ou alimente, au Mali ou au Burkina, les mouvements djihadistes, quand elle ne provoque pas des massacres interethniques, entre communautés cohabitant depuis des siècles.
Cela nous amène à conclure que le processus de démocratisation dans la sous-région ouest-africaine bat de l’aile.
Depuis le vote de la "loi des trois courants" au Sénégal, dès le milieu des années 70, qui allait déboucher sur le multipartisme intégral et le pluralisme médiatique, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Il y a eu la romantique parenthèse de la révolution burkinabé, qui ne survivra pas aux faucons de la Françafrique.
C’étaient là autant de signes d’une volonté des peuples ouest-africains d’en finir avec la dictature des partis uniques et de rompre les amarres avec l’ordre néocolonial, qui avait survécu aux indépendances formelles des années 60.
Hélas, les conférences nationales tenues sur injonction du président Mitterrand dans son discours de la Baule, au début des années 90, se fixaient surtout des objectifs cosmétiques. Il s’agissait, tout en préservant la domination impérialiste, d’en finir avec l’aspect hideux de républiques bananières caractérisées par un ordre totalitaire et/ou une instabilité chronique due à la multiplicité des putschs militaires.
L’objectif visé était que le pouvoir continue d’être concentré entre les mains de clans pro-impérialistes, disséminés dans diverses chapelles, qui réduiraient la vie politique à de sempiternelles rivalités électorales. Mais au-delà des alternances trompeuses, il est temps de viser de véritables alternatives sociopolitiques.
Il faut donc aller beaucoup plus loin que la simple inscription de la limitation du nombre de mandats à deux au niveau du protocole additionnel de la CEDEAO.
Pour rompre avec cette quadrature du cercle, la jeunesse africaine doit s’investir pour une stratégie soucieuse des intérêts des masses populaires reposant sur la restauration de la souveraineté nationale, un véritable État de droit basé sur une refondation institutionnelle, c’est à dire la séparation et l’équilibre des pouvoirs.
NIOXOR TINE
leelamine@nioxor.com
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