Les semences certifiées du terrorisme
Par Bassirou S. Ndiaye
« Qui veut tuer son chien, l’accuse de rage ». On pourrait ajouter : qui veut réduire son opposition à sa plus simple expression l’accuse de vol, de viol et/ou de terrorisme. Mais la rage qui condamne le chien à mort est un prétexte du maitre pour justifier un meurtre et non une maladie. Le vol, le viol et/ou le terrorisme des opposants ne sont-ils pas que des délits et des crimes dans la tête d’un Gladiateur fou qui cherche à récolter les olé de l’arène sans combattre, en envoyant méthodiquement tous ses adversaires dans la fosse aux lions ?
La loi contre les menaces terroristes perçue comme l’infaillible filet pour pêcher enfin l’indomptable qui a miraculeusement échappé jusqu’ici à tous les pièges du Gladiateur, ne devrait pas être pris comme une simple manœuvre politique de plus. En effet, même si les terroristes sont encore loin de Ndoumbélaan, nous préparons de toute évidence le matelas moelleux sur lequel ils atterriront sans heurt, inventés par des esprits machiavéliques ou créés par la misère. Qu’ils soient de hideux barbus venus du désert nous apprendre à tuer pour plaire à Dieu, ou d’innocents adolescents conscrits par la mal-gouvernance, puis mobilisés par l’histoire et la culture pour suppléer des parents sans perspectives, ils se manifesteront, en mordant dans la chair des repus ou en pillant les grandes surfaces venues d’ailleurs. Mais ce n’est pas contre eux que le Gladiateur peaufine son arsenal juridique. Astérix leur souhaite depuis longtemps, la bienvenue pour justifier enfin la présence massive de légionnaires et de barbouzes venus défendre un pays frère……. et ses ressources naturelles.
Si Goorgorlu n’est pas disposé à les accueillir ou à les aider, il les applaudira certainement dans un premier temps, surtout s’ils venaient à viser ces grands établissements de luxe interdits à sa classe sociale, les centres hébergeant ceux qui profitent des lois d’apartheid économiques et sociales qui le confinent à la périphérie et le privent de sa dignité humaine. Il applaudira instinctivement les meurtres et la terreur (niaww), perçus comme la sentence divine. Il se réjouira naïvement, comme différentes couches sociales ont applaudi, laissé applaudir ou approuvé sans le dire, quand les effigies de Ben Laden se vendaient comme des petits pains après les attentats du 11 Septembre. Parce qu’elles se disaient que l’Oncle Sam n’avait récolté que ce qu’il avait semé.
Le sentiment de culpabilité ultérieure et l’empathie, en découvrant les visages des innocentes victimes à côté de ceux des assassins cossus, trafiquants d’armes et de drogues, sera atténué par l’intime conviction que les véritables coupables de la tragédie, étaient les semeurs d’injustice, les fabricants de monstres ayant germé à la périphérie de leurs pratiques ignobles au sommet des états. Qu’on ne se voile donc pas la face, qu’on ne joue pas à l’autruche. Si la grande majorité des dirigeants politiques reste convaincue qu’une transition sans heurt est encore possible, Goorgorlu pense qu’elle a simplement peur de se salir les mains et ne manquera pas de laisser l’inévitable confrontation en héritage aux générations futures. Peur de la violence, peur aussi et surtout de perdre des privilèges que lui confère une situation d’équilibre politique relatif qui ne survivrait pas à une tempête tropicale.
Malgré le jeu de mots et de maux à l’hémicycle, les menaces de sabres et les coups de poings peu honorables, les tentatives de marches étouffées par la violence légitimée de gueux en quête de DQ, tous les acteurs sont conscients que l’arsenal juridique de Ndoumbélaan se mue en une balance truquée aux mains d’inquisiteurs choisis par le Gladiateur contre le peuple, avant d’être déclarés « élus du peuple ». Il est facile d’affirmer qu’une balance truquée est inoffensive. Une autre évidence c’est aussi que tous ceux qui y seront pesés, finiront comme des sorciers au bûcher, « au nom de la loi », et en vérité pour la perpétuation du trône. D’apparence banale, certaines lois semblent érigées plus comme des digues préventives contre les crues hors-saison notées au printemps de Ndoumbélaan, des épées curatives et de véritables semences de dictature, certifiées par de grands mages du droit au nom de la lutte contre le terrorisme.
Il faut être naïf ou de mauvaise foi pour ne voir dans les nouvelles lois qu’une volonté patriotique de protéger les sujets et les biens du royaume. Car malgré notre aversion contre la violence, la subtilité des maux cache mal la volonté de castration politique de l’opposition. Or, dans un troupeau, seuls les mâles se sentent concernés par les opérations de castration. Il est donc normal que les hommes politiques, géniteurs idéologiques et économiques, se sentent les premiers concernés. Les terroristes ne jettent pas des pierres, ils n’ont peur ni de la mort ni des prisons. Ces lois ne les concernent donc pas. Ceux qui pensent le contraire se trompent de bonne foi ou cherchent à tromper leurs compatriotes.
Le virage de l’action politique vers des formes de luttes violentes a souvent été une réponse, à l’absence d’autres formes d’expression. Il peut aussi être encouragé par les tenants du pouvoir qui se croient ponctuellement forts (souvent à tort), pour en venir à bout. Mais, on ne peut pas convoquer la Justice au secours de l’incompétence politique sans convoquer l’Histoire. Des lois promulguées en d’autres temps et d’autres lieux pour faire de Mandela et de ses compagnons des terroristes, de Ben Bella, de Amilcar Cabral et autres Ho chi Min des bandits et des hors-la-loi n’ont pas suffi pour endiguer la lutte des peuples. L’affirmation de la non-violence comme forme de lutte de Gandhi, les marches pacifiques comme forme d’expression politique de Martin Luther King, ont aussi été qualifiées d’actes terroristes par des lois. Résister à l’occupation NAZIE était un crime passible de la peine de mort ou de camps de concentration.
Résister n’est pas qu’un droit citoyen, c’est une obligation patriotique même s’il conduit à assumer le titre peu glorieux de terroriste. D’ailleurs, ce mot baladeur idéologiquement chargé, n’a souvent été à travers l’histoire, qu’un qualificatif subjectif qui s’accorde au genre et non au nombre, pour semer le doute parmi les honnêtes citoyens.
BANDIA, JUILLET 2021
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