BANC JAAXLE (LE DESARROI)
Les hommes politiques constituent assurément une race à part. Capables du meilleur comme du pire, ils ont cette capacité presque divine de dépassement et de pardon des affronts les plus humiliants, des coups tordus les plus tragiques. Voir Nelson Mandela embrasser Frederick Declercq, Laurent Gbagbo partager ses joies et ses inquiétudes avec Guillaume Soro, Dos Santos garantir l’impunité, le gîte et le couvert au sinistre Savimbi, ou Yasser Arafat partager avec Itzhak Rabin le prix Nobel de la paix dans une atmosphère de communion fraternelle est simplement incompréhensible pour le commun des mortels.
Les hommes politiques sont sûrement ces démons généreux à qui on donnerait le titre de prophète ou d’ange, si ce n’était ce couteau satanique enfoui sous leurs manches, avec lequel ils sont capables de trancher dans la chair humaine à la moindre alerte. C’est bien eux, qui à l’âge des certitudes, ont assassiné Amilcar Cabral, Ernest Oandié, Thomas Sankara, Franklin Boukaka, neutralisé Kwame Nkrumah, avant de les réhabiliter et même de les porter au rang de héros nationaux. Toujours guidés vers l’action, le passé de l’humanité les encourage, le présent les condamne, avant que le futur ne les juge, objectivement.
A Ndoumbélaan comme dans d’autres zones de conflits, c’est encore eux qui montent au front, au nom de la réconciliation nationale pour proposer l’impunité, le pardon et d’autres ressources de la nation à leurs semblables coupables pour le triomphe de leurs idées (fûssent-elles les plus funestes ou les plus illusoires), d’atrocités, de vols et de pillages. C’est dans cette logique qu’il faut certainement lire la genèse subtile de l’idée oh combien blasphématoire pour le moment, d’un élargissement du rejeton de l’Empereur au profit d’autres priorités nationales. Certes le débat ne fait que commencer, et il débute malheureusement en français.
La majorité des concitoyens de Goorgorlu n’est pas toujours à l’aise avec la langue de Voltaire au point d’en déceler les subtilités. Dans ces conditions, dire que le rejeton de l’Empereur reconnu par son géniteur comme « le citoyen le plus intelligent de Ndoumbélaan, « est un innocent » sic, fait couler beaucoup d’encre, déchaîner des passions vives et latentes.
Cette prise de position aurait pu ne pas soulever autant de débats si elle était celle de « monsieur tout le monde ». Mais ici l’auteur est un homme respectable, réputé pour son franc-parler et proche du Gladiateur. Il est surtout connu pour avoir donné sans discontinuer toute son énergie à la lutte contre l’injustice. C’est certainement cette dimension historique et politique de l’homme qui dérange ou conforte les acteurs en conflit.
Goorgorlu peut être choqué si ce jeu de mots laissait entendre que l’homme de plus de quarante ans, auteur présumé de tant de dérives connues et en particulier des plus grands détournements de deniers publics de l’histoire de Ndoumbélaan, est pénalement irresponsable parce que : « c’est son père qui lui a demandé de prendre l’argent et il a pris » sic. Ce serait en tout cas une tentative mal venue de dédouaner un auteur présomptif de forfaits sans nier les faits. Ndoumbélaan a trop souffert de cette insouciante arrogance du rejeton qui affrétait un avion pour ses escapades alors que Goorgorlu peinait à s’assurer le ticket d’un Ndiaga Ndiaye préhistorique. Il a condamné sans être entendu la toute puissance du prince qui distribuait les rôles politiques et économiques à une frange d’anonymes avec lesquels il espérait bâtir son armée en marge du parti politique de son géniteur au sein duquel il peinait à s’imposer. Qui ne se souvient pas de la gifle monarchique reçue par le Gladiateur pour avoir osé demander au prince de s’expliquer devant les représentants de la nation ? N’y aurait-il pas d’ailleurs de troublantes similitudes avec la défenestration du « Zorro » chargé aujourd’hui d’éclairer la lanterne de ses compatriotes sur cette étape nébuleuse de son histoire ? Mais c’est peut être là, déjà un autre débat. Comprendre les mobiles est utile à l’histoire et à la société au moins pour les enseignements qu’elle peut en tirer, absoudre sans comprendre serait un péché. Admettre qu’un auteur de crimes ou de délits, jouissant de ses facultés physiques et mentales est irresponsable parce qu’il y a un commanditaire derrière, pose tout de même un problème à l’éthique et à la justice. Parce que derrière chaque forfait il y a un commanditaire, physique et ou moral.
Comprendre derrière ce jeu de mots qu’il est innocent, c'est-à-dire qu’il n’est ni auteur ni complice des faits qui lui sont reprochés, (interprétation vite adoptée par ses partisans qui la brandissent comme un trophée), c’est prendre partie dans cette affaire Dreyfus tropicalisée et monétarisée, qui divise les cercles intimes des grand’ places.
Dans l’affaire Dreyfus les parties en conflits défendaient des positions strictement morales et ou philosophiques. Le complot visait une race, une religion une philosophie.
L’affaire du rejeton crée d’autres lignes de fracture qui évoluent certes dans le temps, proportionnellement au quotidien et aux tendances politiques et économiques qu’impriment les nouveaux gouvernants issus de l’alternance II, An II, et au baromètre d’affection ou de désamour de millions de Goorgorlu qui avaient placé beaucoup d’espoir sur eux.
Dans le camp du rejeton, il y a bien sûr ses complices en liberté conditionnelle ou non, les juristes purs et durs qui mettent en cause l’existence même d’une telle cour dans une démocratie baptisée majeure et tous ceux qui comme lui, ont profité du laxisme d’une république bananière pour plonger dans la mare aux caïmans prédateurs de ressources.
Le camp de Goorgorlu, moins homogène rassemble les justiciers, les démocrates témoins de tant de dérives, les spoliés et les laissés pour compte qu’une alternance I a rejeté à la périphérie. Mais ce camp s’est très vite désintégré, refroidi par une justice trop compliquée à ses yeux pour trier la bonne graine de l’ivraie. Peu lui importe d’ailleurs aujourd’hui ce que cette justice fera ou dira du rejeton, parce qu’il est convaincu qu’il est coupable.
Coupable d’avoir empêché les structures sanitaires de se doter de matériels et de médicaments pour orner son bureau à coups de milliards
Coupable d’avoir sacrifié des générations en perturbant de façon durable tout le système éducatif, l’agriculture et la recherche en plaçant des hommes sans pouvoir ou issus de « sa génération inconsciente» aux commandes de l’état.
Coupable d’être le motif et ou la raison de toutes les dérives (y compris la corruption et le népotisme, la spéculation et le trafic foncier, la dégradation des mœurs), d’un Empereur qui a bafoué toutes les lois, causé des morts et des estropiés physiques et moraux pour lui assurer un trône viager auquel il n’avait pourtant pas un droit inné.
La reddition des comptes était donc perçue comme la première demande sociale de l’alternance II, an I. Après la déroute de l’Empereur, les rancœurs accumulées contre le rejeton étaient telles qu’une coexistence pacifique sans reddition de comptes était inadmissible.
Le Gladiateur pour assoir une légitimité et peut être pour calmer une opinion publique aux frontières de la vendetta, s’y est conformé malgré un passif lourd à gérer … avec toute la subtilité d’un politique averti.
Goorgorlu s’attendait simplement à ce que le rejeton fasse devant la justice ce qu’il avait refusé de faire devant les représentants de la nation. En somme, dire ce qu’il a fait de l’argent public, pourquoi il attribuait des marchés à une clientèle politique, pourquoi il affrétait un avion personnel aux frais du contribuable alors que ses collègues voyageaient en deuxième classe dans des avions de ligne, etc.. Il s’attendait à ce que ses complices ordonnateurs de budget ou bâtisseurs d’infrastructures bancales ou jamais achevées soient identifiés et punis pour dissuader d’autres malfaiteurs.
En lieu et place, les chefs d’accusation ne semblent porter que sur des biens cachés dont on ignore jusqu’à l’origine. La cour spéciale sans expérience et sans vécu similaire, mise en place à cet effet, s’est jetée à l’eau avec la volonté et le patriotisme de ses membres comme seuls outils de travail. Sans entrer dans le débat ésotérique sur la légalité ou de la légitimité de cette cour, Goorgorlu sait qu’elle n’apportera pas de réponses à ses interrogations. D’ailleurs lui qui répugne consommer le « ribbah » se garderait bien de voir ces supposés biens pouvant être d’origines illicites (pots de vin, trafics en tout genre, vols ?), reversés dans ses maigres ressources. Il s’est donc très tôt démarqué du débat. Cette désaffection du citoyen autour du procès a eu pour conséquence de favoriser le duel tant redouté entre le Gladiateur et le rejeton de l’Empereur, entre le favori perdant et le prétendant vainqueur du trône de Ndoumbélaan.
La peur qui s’était installée parmi les charognards bleus coupables de malversations et de détournements de deniers publics a changé de camp à partir du moment où il ne s’agissait plus de rendre des comptes sur la gestion des biens de la nation mais de justifier l’origine de biens supposés ou réels. Cette subtilité a fait pousser des ailes à tous ceux qui rasaient les murs au lendemain de l’alternance II, an I. Non seulement ils défient la cour de trouver les biens savamment cachés comme dans un jeu de « langa buri », mais narguent le Gladiateur jusqu’ici seul, ayant malencontreusement reconnu des biens pharaoniques, que toute logique non partisane pourrait verser dans le lot des richesses illicites. Les dénégations n’apporteront rien à sa défense. L’aveu étant la mère des preuves, il se retrouve désormais le seul candidat de cette cour d’autant plus que le rejeton devant l’incapacité de ses poursuivants à dénicher le pot aux roses, nie désormais toute existence de biens cachés.
Ndoumbélaan est donc dans une impasse qui relègue au second plan les urgences dont la principale reste la refonte des institutions recommandée par les Assises Nationales. Il faut par conséquent poser le débat et l’assumer surtout, pour éviter que les inévitables ententes secrètes n’enterrent cette parodie loin de la vox populi. Goorgorlu se consolera s’il était convaincu qu’il ne s’agit là, que de la perte d’une bataille dans une guerre contre l’injustice. Comme au Brésil et au Chili, en Argentine ou au Congo, et plus récemment au Burkina Faso, d’autres générations plus aguerries et mieux outillées reviendront demain sur nos procès et nos résolutions, pour prononcer d’autres verdicts plus conformes à la réalité.
La tache est rendue ardue par la position dualiste du Gladiateur. S’il reconnait l’impasse, il se garderait bien de favoriser une libération triomphale à un futur candidat à sa succession qui a fini de décliner ses ambitions. Blanchi et lavé de tout soupçon de richesses illicites, le rejeton pourrait prendre son pot de tomate rouillé pour conquérir les voix des Goorgorlu, alors que le Gladiateur qui a fini son suicide de classe, n’aurait plus que les allées vides des Almadies pour remplir sa besace.
Par B.S. NDIAYE
BANDIA, Novembre 2014
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