IMPACT DE L’ACTE 3 DE LA DÉCENTRALISATION SUR LE SYSTÈME SANITAIRE.
Au cours du mois d’août 2014 s’est tenu à la Somone (département de Mbour), un atelier sur la réforme des districts. C’était la troisième d’une série de rencontres ayant débuté au mois de février 2014 à l’hôtel Amaryllys de Saly, la deuxième ayant eu lieu au mois de mai 2014 à l’hôtel Palm Beach. L’objectif annoncé de ces réunions était d’élaborer la contribution du Ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS) à l’acte 3 de la décentralisation.
Mais, dans la réalité, il s’avère de plus en plus, que certains fonctionnaires du MSAS veulent profiter de la réforme de l’acte 3 de la décentralisation, pour introduire subrepticement la réforme du district sanitaire. Depuis les lois de la décentralisation de 1996, les compétences Santé et Action Sociale avaient été transférées aux Collectivités Locales. Au niveau des districts, ce transfert devait s’exercer à travers un comité de gestion dirigé par le Président de la collectivité locale et comprenant outre le chef de la structure socio-sanitaire, le Président et le Trésorier du comité de santé. C’est ainsi que les postes et centres de santé étaient gérés par les collectivités locales où elles étaient implantées (Communautés rurales, communes de plein exercice ou communes d’arrondissement dans les Villes). Concernant le système hospitalier, les Présidents des conseils régionaux dirigeaient les conseils d’Administration des structures hospitalières que sont les EPS1 et EPS2.
Il faut d’emblée déplorer le fait que la réforme de l’acte 3 a été initiée, sans une évaluation préalable des lois sur la décentralisation de 1996, qui ont connu de nombreux dysfonctionnements:
- Léthargie ou non-fonctionnalité des comités de gestion,
- Absence de mise à disposition partielle ou totale des fonds de dotation décentralisés au niveau des structures sanitaires (districts, hôpitaux),
- Absence de définition des rôles et responsabilités des différents acteurs,
- Non prise en compte du concept de district sanitaire par les textes de la décentralisation,
- Insuffisance de l’implication des collectivités locales dans les activités préventives et promotionnelles de santé,
- Déficit de promotion, par les collectivités locales, de la participation communautaire
On ne peut, ensuite, que regretter le fait que certains hauts fonctionnaires essaient de profiter de la réforme de la décentralisation pour remettre en cause l’organisation des services locaux au sein du Ministère de la Santé et de l’Action sociale, esquivant ainsi la nécessité d’un débat de fond sur la réforme du district. C’est ainsi que ces technocrates envisagent de séparer les fonctions de soins et de gestion, ce qui se traduirait par la suppression du cumul des fonctions de médecin-chef de district et de médecin-chef du centre de santé de référence. Les comités de santé, organes de participation communautaire, sont appelés à disparaître et à être remplacés par des comités de développement de la Santé devant être présidés par les maires. Enfin, il a été évoqué la possibilité d’ériger les centres de santé en établissements publics de santé de niveau 1 (EPS1) dont les conseils d’administration seront présidés par les présidents des conseils départementaux ou les maires de Villes.
Au total, il semble que les changements annoncés cherchent à dessaisir les cadres de santé aussi bien du leadership technique au sein de leur Ministère de tutelle que des directions des structures sanitaires au profit d’autres catégories de personnel, dont la plupart ne satisfont pas aux critères académiques requis. On note aussi une tendance très marquée à privilégier les établissements hospitaliers au détriment du système de santé de district.
Pour ce qui est de la réforme du district sanitaire, l’option privilégiée par le Ministère semble être de revoir les districts dans leur configuration actuelle, en leur faisant épouser les limites des départements actuels, ce qui se traduira par la création de 45 services départementaux de la santé et de l’action sociale (SDSAS), en lieu et place des 76 districts actuels, dans le souci de répondre à la nouvelle Collectivité locale qu’est le Département. Il est prévu, en outre, la création de zones sanitaires au niveau de toutes les communes, ce qui pose un problème de cohérence, mais surtout d’équité en raison de la variabilité de la carte sanitaire et de la disparité des plateaux techniques des structures socio-sanitaires au sein des innombrables communes que compte désormais notre pays.
Plusieurs experts en santé publique ont émis de sérieuses réserves sur cette option, plaidant plutôt pour le maintien des districts actuels et soulignant le caractère superflu des SDSAS, une nouvelle structure de coordination et de gestion, qui ne fera qu’alourdir le système et réduire son efficience, en créant un palier supplémentaire. Ils pensent qu’une DRSAS ou Région Médicale devrait amplement suffire. Elle jouerait un rôle d’appui et de supervision des districts et servirait d’interface avec le niveau central. Le préfet du département pourrait avoir comme répondant le médecin-chef du district, se trouvant au niveau de la capitale départementale et dont le profil pourrait être décrit de manière à ce qu’il soit le médecin le plus ancien dans le grade le plus élevé. On pourrait aussi laisser le préfet interagir avec chacun de ses médecins de districts qui sont tous membres du comité départemental de développement (CDD) pour éviter de multiplier les structures de gestion et de coordination.
D’autres évoquent le fait que l’acte 3 étant un texte de loi, de portée générale, n’a pas vocation de traiter de l’organisation des services au niveau des différents ministères (District sanitaire pour le Ministère de la Santé, Inspection de l’Education et de la formation, Secteur pour l’Environnement notamment les Eaux et Forêts, ou Subdivision pour les Travaux Publics, Zone militaire pour les Forces armées...etc.). Là également, rien ne justifie ce choix, car cette nouvelle réforme (qui préconise la communalisation universelle et la départementalisation), devrait simplement se traduire par une répartition des attributions de la défunte Région entre les deux ordres de collectivité locale reconnus par l’acte 3 que sont le Département et la Commune.
De plus, nul ne peut contester le fait que les districts sanitaires puissent se prévaloir de réalisations concrètes dans plusieurs domaines :
- la mise en œuvre des activités préventives (vaccinations, éradication de la polio, contrôle de la rougeole, suivi pré- et postnatal, planning familial, …)
- la survie de l’enfant (lutte contre les maladies diarrhéiques, suivi et promotion de la croissance, supplémentation en micronutriments…)
- la baisse spectaculaire de l’incidence du paludisme
- la prise en charge décentralisée et gratuite de la tuberculose et du sida,
- le dépistage et la gestion des maladies non transmissibles et
- la surveillance épidémiologie et la riposte aux épidémies, dont la dernière en date est la fièvre à virus Ebola
Rien ne justifie donc, à priori, la remise en cause du district sanitaire, dans son format actuel, qui est une aire géographique de proximité, dont la densité du maillage garantit aux populations la proximité du personnel de santé, gage d’équité, en conformité avec la philosophie, qui sous-tend la couverture sanitaire universelle.
Le projet d’ériger les centres de santé en établissements publics de santé, (projet cher à la cohorte d’administrateurs hospitaliers tapis au sein de la DES) couplé à la volonté de supprimer les districts sanitaires conduirait à transposer la crise hospitalière au niveau du système de santé local et sonnerait le glas de la stratégie des soins de santé primaires. Il aurait été mieux indiqué de procéder d’abord à l’évaluation de la première génération d’établissements publics de santé de niveau 1. Il semble bien qu’il s’agit là d’un passage à l’échelle d’expériences non réussies que constituent la Réforme Hospitalière et l’érection des centres de santé de référence de certains districts en EPS de niveau 1. Tout le monde se rappelle du décret n°2010-774 du 15 juin 2010, qui a consacré l’érection des centres de santé de référence de 10 districts sanitaires en Etablissements Publics de Santé (EPS) de Niveau1 (Guédiawaye, Rufisque, Touba, Tivaouane, Mbour, Linguère, Kaffrine, Richard-Toll, Sédhiou et Dakar-Sud) et ses conséquences catastrophiques en termes de santé publique. Les pouvoirs publics avaient avancé, à l’époque, entre autres prétextes, celui du renforcement du parc hospitalier national et la nécessité du relèvement du plateau technique.
Dans la réalité, les plateaux techniques de ces nouveaux EPS1 se sont dégradés à cause du manque d’appui budgétaire et de renforcement d’équipements de part de l’Etat. En même temps les ressources générées par ces structures servent à uniquement à motiver le personnel conformément aux dispositions en vigueur qui réglementent les Etablissements Publics de santé. Cette situation a pour conséquences :
- Absence de ressources pour l’entretien des locaux et l’acquisition d’équipements
- Rupture dans la continuité de certains services
- Relèvement des prix des tickets de prestations sans se soucier du pouvoir d’achat des populations (diminution de fréquentation, orientation des patients vers d’autres structures).
Il faut, certes, reconnaître, que malgré la contribution remarquable des systèmes de santé de district à l’accessibilité des masses populaires aux soins essentiels, certaines insuffisances ont été notées, surtout pour ce qui est de la prise en charge des maladies non transmissibles, des urgences médicales, chirurgicales et gynéco-obstétricales et aussi en rapport avec la qualité des soins.
Cet état de fait est lié aux facteurs suivants :
- Le déficit de personnels qualifiés particulièrement marqué en zones suburbaine et rurale avec une pléthore d’agents de santé communautaires ;
- Le manque d’équipements et de matériel biomédicaux
- Les dysfonctionnements du système d’orientation-recours dus à des structures privilégiant des critères de rentabilité financière sur ceux en rapport à l’accès universel à des soins de qualité,
- Le désengagement de l’Etat, le plus souvent lié à des plans d’ajustement structurel inspirés par le FMI et la BM
- La réticence des médecins à exercer dans les zones rurales du fait du mauvais traitement salarial
- Les faibles capacités des collectivités à réaliser leur propre vision.
Néanmoins, des efforts indéniables ont été faits pour lever les contraintes entravant le développement des systèmes de santé locaux. C’est ainsi que des mutations sont intervenues dans certains districts sanitaires, qui ont tenté de s’adapter au nouveau profil épidémiologique caractérisé par l’émergence des maladies cardiovasculaires, métaboliques et tumorales, en recrutant des médecins vacataires et en organisant des vacations de spécialistes. On a également pu observer le renforcement du système de santé à partir des ressources propres des structures de soins (achat d’équipement et de matériel médical, recrutement de personnel, voire travaux de génie civil). Enfin, dans le cadre de l’amélioration de la gouvernance sanitaire, certains districts sanitaires, ont de par leur propre initiative mis en place des logiciels de gestion en vue d’une gestion plus transparente des recettes issues de la participation financière des populations à l’effort de santé.
Il faudrait cependant l’adapter au nouveau contexte marqué par la couverture sanitaire universelle. La nécessité d’œuvrer pour la santé communautaire a été réaffirmée, particulièrement dans les milieux dépourvus en ressources confrontés aux problèmes d’équité et d’accessibilité aux soins les plus aigus. Il faudra, plus que jamais, veiller au renforcement des systèmes locaux de santé, à l’autonomisation des communautés, ménages et individus qui, de concert avec les professionnels de la santé, jouent un rôle dans la production de la santé. Le district situé en zone urbaine interpelle particulièrement les prestataires appelés à faire preuve de plus de réactivité, d’autant que l’offre de services est de plus en plus diversifiée (structures publiques, privées, informelles, non-gouvernementales, confessionnelles, paramilitaires, d’entreprises…etc.).
Cela va nécessiter l’harmonisation des interventions des différents acteurs appelés à s’approprier des objectifs du PNDS. C’est cela qui justifie l’adoption par les districts sanitaires de diverses stratégies plus ou moins nouvelles (stewardship, supervision, signature de convention, financement basé sur les résultats…). Chaque district doit impérativement disposer d’un centre de santé de référence, lequel est considéré comme un établissement faisant partie d’un système complet de soins. Son rôle résulte de la répartition des tâches au sein du district et il sert de structure de référence aux postes de santé, aux centres de santé secondaires, aux structures privées confessionnelles…etc. Il peut, dans le cadre du renforcement des soins de santé primaires et de la promotion de la santé communautaire, servir de moteur au district sanitaire animé par une équipe-cadre, des infirmiers chefs de postes, assistés de comités de santé et d’organisations communautaires de base.
Des structures telles que les centres de santé de référence des districts de Dakar (Philippe Maguilen Senghor, Nabil Choucair, Gaspard Kamara) offrant une gamme de services médicaux, gynéco-obstétricaux et de petite chirurgie, à côté de leur rôle de mise en œuvre et de supervision des soins de santé primaires remplissent toutes les conditions qu’on attend d’un centre de santé de référence à l’heure actuelle. Ils combinent les missions de santé publique avec les exigences de soins de qualité.
Rien ne s’oppose à ce que dans ces centres de santé de référence dirigés par des cadres médicaux (le MCD et son adjoint), la gestion soit modernisée avec un agent comptable particulier et un Conseil d’Administration, présidé par le Chef de la Collectivité locale concernée (Ville ou conseil départemental), dans lequel les acteurs locaux (dont les comités de santé qui devraient se désengager de la gestion financière) seraient mieux représentés.
L’opposition des médecins chefs de district à l’acte 3 de la décentralisation ne relève pas uniquement de préoccupations d’ordre corporatiste. Il s’agit plutôt de l’avenir du système sanitaire sénégalais, au moment où certains cherchent à confiner les cadres de santé au rôle peu gratifiant d’exécutants dociles de politiques sanitaires définies sans eux (et même parfois contre eux !). Ces cadres de santé ne sont pas non plus opposés à l’émergence de collectivités locales pleinement responsabilisées. Bien au contraire ! Une véritable décentralisation administrative constitue un facteur déterminant pour la réussite des politiques de santé. Mais au vu de l’histoire du processus de décentralisation dans notre pays, il serait plus indiqué de revoir les modalités du transfert de la compétence Santé à des Collectivités Locales encore trop politisées. Et ce d’autant que la quasi-totalité d’entre elles disposent de capacités technico-administratives encore embryonnaires et doivent faire l’apprentissage d’un véritable développement local.
Dr Mohamed Lamine LY
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