DÉCONFINER NOTRE HORIZON COMMUN !
#SilenceDuTemps - EXCLUSIF SENEPLUS
32 ans après l’effondrement du camp socialiste est-européen, il devient impératif de rompre avec les lois d’airain de la globalisation néolibérale, que sont l’ouverture incontrôlée des marchés et le recul démésuré de l’État.
En effet, la pandémie de COVID-19 met le doigt sur la nécessité de réinventer notre monde grâce à des transformations sociales profondes. Et ce, d’autant que plusieurs acquis décisifs en matière de progrès social et de libération humaine, obtenus, dans l’après-guerre, au prix de confrontations épiques entre deux camps se réclamant, l’un du libéralisme et l’autre du socialisme, ont été remis en cause ou sont en voie de l’être.
UN CHANGEMENT DE CONTEXTE
Même si en fin de compte, la compétition entre blocs politiques rivaux et la course effrénée aux armements n’ont pas conduit à l’irréparable, c’est à dire l’apocalypse nucléaire, l’effondrement du camp dit socialiste va rendre le monde unipolaire, sous la houlette d’un capitalisme triomphant, ce qui va contribuer à libérer les démons qui sommeillaient sur la scène internationale.
Partout dans le monde, le refus de l’impérialisme de renoncer à ses politiques d’exploitation des travailleurs et de spoliation des pays anciennement dominés, va conduire à une démultiplication des foyers de tension.
Les conséquences de cette situation vont être désastreuses , allant de la fragmentation de grands ensembles politiques (URSS, Yougoslavie...), à l’émergence et au renforcement de forces politiques, se réclamant de la religion et/ou du conservatisme social ou de l’extrémisme radical (populisme, terrorisme ...), dans un contexte d’affaiblissement des forces de progrès.
En ce début de vingt et unième siècle, alors même que les risques d’une guerre nucléaire globale, mais aussi d’utilisation d’armes chimiques et bactériologiques, sont loin de s’être totalement estompés, d’autres menaces environnementales et sanitaires occupent le devant de la scène.
Cela découle, en premier lieu, du fait que notre monde est devenu de plus en plus global avec circulation accrue de personnes mais aussi d’aliments et d’animaux, autant de facteurs propices à la transmission accrue de nouvelles maladies. De fait, dès les années 1990/2000, des prédictions sérieuses avaient commencé à foisonner, portant sur l’émergence de contagions planétaires par des virus inconnus.
C’est dire donc, que la pandémie de COVID-19, loin d’être un coup de tonnerre dans un ciel serein, une sorte de cygne noir, selon l’acception de l’essayiste Nassim Nicholas Taleb, était un événement bel et bien prévisible.
DES MENACES D’UN GENRE NOUVEAU
Parallèlement aux enjeux sécuritaires, qui agitent la planète, l’humanité assiste, impuissante, à la destruction de l’environnement physique par des politiques publiques à courte vue (industrialisation, agriculture intensive), centrées sur la maximisation du profit des puissances d’argent.
La surexploitation des ressources de la planète est responsable de la réduction de la biodiversité témoignant de la surcharge de nos écosystèmes. La déforestation de même qu’une démographie galopante dans certaines parties du globe, ont pour conséquence de favoriser une promiscuité croissante entre faune sauvage et populations humaines.
Cela va se traduire, sur le plan sanitaire, par l’apparition de maladies infectieuses émergentes trouvant leur origine dans le monde animal (SRAS, grippe aviaire à A/H5N1, maladie à virus Zika, grippe A/H1N1, MERS-CoV, grippe aviaire A/H7N9...).
Les stratégies de prévention et de lutte contre ces maladies émergentes, qui constituent un important pilier de l’agenda sanitaire Mondial, avaient jusqu’à présent réussi à contenir ces maladies. Avec la COVID-19, le monde d’après-guerre fait face à sa première menace globale.
UN MONDE PLUS VULNÉRABLE
La pandémie de COVID-19 est survenue dans un monde devenu très vulnérable aux plans économique, social et politique.
En effet, depuis la crise financière de 2008, la plupart des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont connu un ralentissement de leur croissance économique, une diminution de leur produit intérieur brut (PIB) et une augmentation fulgurante de leurs taux de chômage.
De plus, plusieurs pays ont dû s’endetter à cause de déficits budgétaires persistant sur plusieurs années, qu’on a tenté de réduire par des mesures de "consolidation fiscale", en augmentant les taxes et/ ou en réduisant les dépenses dans les secteurs sociaux, notamment celui de la santé.
Le sous-financement des systèmes sanitaires, qui en a résulté, a accentué les inégalités sanitaires, que les autorités sanitaires ont tendance à occulter. Cela résulte du fait d’une approche centralisée, biomédicale doublée d’une insuffisante prise en compte des enjeux sociaux, à l’origine d’un déficit notoire d’équité des politiques socio-sanitaires.
À titre d’exemple, aux États-Unis, l’incidence de la COVID-19 était trois fois plus élevée dans les comtés dont la population est à prédominance noire. En France, les études sur la répartition sociale de l’épidémie de Covid-19 ont révélé que la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de métropole, était particulièrement touchée par la pandémie.
Ces données ont attesté de l’importance des inégalités territoriales en termes d’urbanisation, de politique de logement, de caractéristiques démographiques et sociales des ménages, d’état sanitaire des populations et aussi d’exposition professionnelle.
On sait, depuis au moins 1929, que les crises financières favorisent la croissance des partis d’extrême-droite, qui engrangent, dans ces périodes troubles, des gains électoraux massifs. Ainsi, le parti nazi (NSDAP) est passé, de 2,6 % à 43,9% des voix, entre 1928 et 1933, année de son accession au pouvoir.
De la même manière, la pandémie de COVID-19 est survenue dans une période d’essor des idéologies populiste et/ou autoritaire accentué par l’onde de choc de la crise de 2008.
L’ECHEC DES SCHÉMAS POPULISTE ET AUTORITAIRE
Les populistes, sous le leadership mondial de l’ex-président Trump ont, dès le départ, cherché à imputer la responsabilité de la pandémie au gouvernement chinois, attisant les sentiments xénophobes, en parlant de "virus chinois" et en préconisant des mesures contre l’immigration.
On a également observé des attitudes suicidaires et irresponsables de déni de l’existence de la COVID-19 et/ou de stratégies d’abstention thérapeutique, dans le but d’atteindre l’immunité collective, fut-ce, au prix de millions de morts.
Ils s’en sont également pris, comme d’habitude, à la mondialisation, responsable, selon eux, de tous les maux et fait montre d’une grande réticence envers les initiatives non pharmaceutiques ou mesures barrières, n’hésitant pas à manifester contre elles ou à les railler.
Au début, on a pu également noter les tergiversations de plusieurs gouvernements européens, à initier des mesures préventives, surtout le confinement, qui, selon leur entendement, pouvaient nuire au processus de production. C’est ainsi que plusieurs pays ouest-européens (Italie, Angleterre, France) de même que les États-Unis et le Brésil ont payé un très lourd tribut à la pandémie, en termes de morbidité et de mortalité.
Ailleurs, c’est la démarche autoritaire, qui a été privilégiée, avec l’illusion de pouvoir vaincre l’épidémie en mobilisant toutes les ressources du pays.
Ces velléités tyranniques ont été facilitées par un contexte de psychose sécuritaire, découlant d’une prétendue lutte contre le terrorisme, nouvelle incarnation de l’ennemi (Feindbild), depuis l’affaissement du bloc soviétique. Comme après le 11 septembre 2001, un recul des libertés individuelles a été noté.
GARE À LA DICTATURE DIGITALE !
Aux yeux des pays impérialistes, le terrorisme sert, avant tout, à créer de nouveaux marchés pour leurs industries d’armements. Il est également utilisé pour justifier la restriction des libertés et légitimer des mesures iniques de surveillance et de répression du mouvement populaire.
L’occasion faisant le larron, les vies privées des citoyens ont pu faire les frais de la lutte anti-COVID-19, d’autant plus que leurs données personnelles courent un risque permanent de tomber entre les mains du gouvernement et/ou de sociétés privées.
Un rapport de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (Idea), a révélé que jusqu’à 43% des pays satisfaisant aux normes standard de la démocratie représentative bourgeoise, ont procédé, sous couvert parfois de rhétorique martiale, à des restrictions injustifiées de libertés depuis le début de la pandémie.
Dans des pays comme les nôtres, considérés comme des "régimes hybrides", les atteintes aux droits de l'homme se sont aussi multipliées, provoquant même des émeutes, dont les dernières remontent à Mars 2021, au Sénégal.
Certaines firmes capitalistes cherchent à profiter de la panique due à la pandémie pour raffermir le capitalisme de surveillance, qui procède à une marchandisation de nos données dans un but de marketing commercial, sur lequel sont venus se greffer des enjeux sociopolitiques ou simplement électoralistes. Nous citerons, à titre d’exemple, le scandale de Cambridge Analytica devenu la parfaite illustration d’une démocratie sous influence des Big Data et qui explique, pour beaucoup, les victoires électorales de Trump et du Brexit.
Enfin, pour faire face à l’effondrement des systèmes sanitaires et à la paralysie des systèmes productifs, la tentation est grande d’invoquer le cas de force majeure pour imposer des solutions technologiques à des problématiques sociales très complexes. Mais cela risque d’être interprété comme une sorte de blanc-seing à une politique de surveillance totale qui pourrait perdurer et saper de façon durable nos droits fondamentaux.
QUID DE LA MONDIALISATION ET DU RÔLE DE L’ÉTAT ?
La Soixante-Quatorzième Assemblée mondiale de la Santé a mis l’accent sur l’urgence qu’il y a à mettre fin à la pandémie actuelle et à prévenir la suivante en construisant un monde en meilleure santé, plus sûr et plus juste.
Pour y arriver, des réformes profondes de la mondialisation néolibérale sont nécessaires.
Il urge, en premier lieu, de bannir cette volonté des champions mondiaux du libéralisme, de réduire l’État à sa plus simple expression, car il a été constaté, lors de cette crise d’origine sanitaire comme dans celle d’avant (2008), que les dirigeants du monde occidental n’hésitent pas à actionner les leviers étatiques, soit pour sauver leurs banques ou pour être en mesure d’assumer certaines fonctions régaliennes.
L’analyse des indicateurs de la COVID-19 a confirmé le fait que la morbidité et la mortalité étaient plus élevées dans des pays, qui ont laissé leurs concitoyens affronter seuls le marché́ (USA, Brésil) que dans ceux à forte protection sociale. Cela montre la nécessité de restaurer l’État dans sa capacité́ stratégique à anticiper et à préparer la société́ à affronter des défis gigantesques et/ou inédits.
La mondialisation a conduit également à des politiques inconsidérées de délocalisations tous azimuts et de suppression des barrières douanières, qui ont montré leurs effets pervers au cours de cette pandémie. Elle a, en effet, montré la forte dépendance de nos pays et même des puissances occidentales vis-à-vis de la Chine pour l’achat de certains produits stratégiques (médicaments) mais aussi de matériels aussi indispensables que les gants, les équipements de protection...etc.
Il est possible de changer le cours des choses, en mettant fin à la dictature des marchés et en luttant contre la marchandisation de la planète.
Les États modernes se sont mis au service des multinationales, leur laissant une totale liberté d’action, en vue de créer des structures sociales compatibles avec des économies capitalistes compétitives. Cela a pour effet de déstructurer l’ordre social, de détruire les rapports sociaux, en réduisant les individus à être de simples consommateurs et des salariés corvéables et taillables, à la merci du patronat.
EN AFRIQUE, UNE CRISE SANITAIRE AGGRAVÉE PAR LA DOMINATION IMPÉRIALISTE
En Afrique, le fardeau de la pandémie est aggravé par la domination impérialiste, d’autant plus que c’est dans les puissances occidentales, porte-drapeaux de l’ordre capitaliste mondial que les conséquences de la crise sanitaire se sont fait le plus sentir, jusqu’à présent.
Le caractère embryonnaire des mécanismes de protection sociale et la précarité économique font des masses populaires africaines, surtout celles actives dans le secteur informel, des cibles de prédilection de la COVID-19.
Heureusement que la pandémie a revêtu, sous nos contrées, un profil épidémiologique particulier lié à la pyramide des âges (jeunesse de la population) et au faible niveau d’urbanisation, responsables jusque-là, d’une morbidité et mortalité moins élevées que dans d’autres parties du monde.
Même si l’intelligentsia africaine s’est davantage offusquée de la condescendance de certains officiels de l’OMS et de l’ONU accusés d’être des oiseaux de mauvais augure, on ne peut dédouaner, pour autant, les pouvoirs publics de nos pays, qui doivent faire plus d’efforts dans la gestion de la pandémie. En effet, le sous-financement chronique des systèmes de santé africain s’est, encore une fois, manifestée par une pénurie en équipements de soins, de protection (masques, gants, blouses, protection oculaire), en matériel de dépistage ...etc.
Alors que le nombre de cas de COVID-19 en Afrique est en augmentation constante et qu’une troisième vague se profile à l’horizon, près de 90 % des pays africains ne devraient pas être en mesure d’atteindre l’objectif qui consiste à vacciner 10 % de leur population d’ici septembre, à moins que l’Afrique ne reçoive 225 millions de doses supplémentaires.
En octobre 2020, l’Inde et l’Afrique du sud demandaient à l’OMC une levée temporaire des brevets sur les vaccins afin de sortir le monde de la crise sanitaire, idée à laquelle, même l’administration Biden se déclare maintenant favorable.
Étant donné que les laboratoires pharmaceutiques ayant fabriqué les vaccins, ont bénéficié de l’argent public, il semble logique de leur demander de libérer les brevets et de faire des vaccins un bien public mondial.
La vaccination universelle est d’autant plus impérative, que les épidémiologistes estiment à un an, tout au plus, la période nécessaire pour vacciner l’ensemble de la planète et atteindre une immunité collective mondiale. Sans une vaccination massive, les mutations du virus, en rendant les vaccins inefficaces, pourraient favoriser la perpétuation de la crise sanitaire, dans un contexte d’endémisation de la COVID-19. Nous devons donc surmonter nos égoïsmes, faire preuve de solidarité, pour déconfiner notre horizon commun.
Dr Mohamed Lamine Ly est Spécialiste en santé publique, Ancien secrétaire chargé de la politique de santé du SUTSAS (1998 à 2007) et actuel secrétaire général de la Coalition pour la Santé et l’Action sociale (COSAS).
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