CEREMONIE DE DEDICACE DE L'OUVRAGE DE DOOLEEL PIT-SENEGAL
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Le 24 mai 2025, Dakar a abrité une cérémonie de dédicace officielle de l’ouvrage collectif « Genèse d’une révolution démocratique (2021-2024) : Trois ans de luttes et d’espoirs », publié aux éditions ABAJADA par le Comité pour la plate-forme de réflexions Dooleel PIT-Sénégal.
Vous trouverez ci-dessous, les interventions des deux discutants ainsi que des images et vidéos de cet évènement.
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INTERVENTION DU PROFESSEUR OUMAR DIA
Genèse d’une révolution démocratique (2021-2024) : trois ans de luttes et d’espoirs est un ouvrage qui réunit des contributions de Doolel PIT-Sénégal, un cercle de militants du PIT historique en rupture de ban avec la direction de leur parti, qui elle ramait à contre-courant de la révolution démocratique.
Meilleure documentation à ma connaissance de la genèse mais aussi de l’accélération de la révolution démocratique, l’ouvrage est un témoignage vivant (surtout qu’il n’a pas été écrit rétrospectivement) de la séquence historique vécue par le Sénégal entre 2021 année du début de l’insurrection populaire et citoyenne et 2024 année de l’élection triomphale de Bassirou Diomaye Faye désigné candidat du camp de la révolution par Ousmane Sonko.
Les contributions recueillies dans l’ouvrage partent du constat d’un paradoxe entre d’une part la répression sanguinaire et la mauvaise gestion érigées en mode de gouvernance par Macky Sall entre 2021 et 2024 et d’autre part l’inertie, l’indifférence, voire la caution de la part des forces dites de la gauche historique auxquelles appartenait leur formation politique, jadis à l’avant-garde des luttes démocratiques et sociales.
Face à cette orientation anti-démocratique et anti-progressiste de la direction de leur parti, des militants du PIT-Sénégal (Abdou Karim Ndiaye, Bamba Ndiaye de Popenguine, Félix Atchadé, Alioune Badara Fall, Ismaila Fall, Aly Ndiaye et Moussa Balla Fofana de la diaspora, Pape Alioune Cissé de Thiès, Thié Ndiaye et Mohamed Lamine Ly, etc.) ont courageusement pris le parti du peuple et de ses justes et légitimes luttes démocratiques et sociales.
C’est ce parti-pris courageux et assumé du camp du peuple qui a donné lieu à la naissance à Dooleel PIT-Sénégal qui s’est présenté d’emblée, comme l’illustre par ailleurs le contenu du livre que nous présentons aujourd’hui, en tant que plateforme de réflexion et d’action collective, basé sur un mémorandum publié par les initiateurs le 3 décembre 2020 et dans lequel ils invitaient toutes les militantes et tous les militants, soucieux de la nécessaire refondation de leur parti, à se retrouver.
Recueil de déclarations et de communiqués faits entre le 03 décembre 2020 date de la publication du mémorandum et le 01 avril 2024, soit une semaine après la victoire au 1er tour de Bassirou Diomaye Faye, l’ouvrage Genèse d’une révolution démocratique (2021-2024) : trois ans de luttes et d’espoirs comprend cinq (05) parties :
- 1ere partie : Mémorandum du Comité pour la plate-forme de réflexions Doolel PIT-Sénégal (CPR Dooleel PIT-Sénégal ngir defaraat reewmi)
- 2ème partie :Dooleel PIT-Sénégal face à la crise politique liée à la cabale contre le président Ousmane Sonko
- 3ème partie : prises de positions durant la période électorale de 2022
- 4ème partie : Exacerbation des tensions devant le renforcement des tendances autocratiques du régime de BBY
- 5ème partie : échec des tenants de la continuité néocoloniale et victoire des adeptes du projet de transformation systémique
Cette structuration de l’ouvrage montre que l’objectif des initiateurs de cette plateforme était au départ un objectif interne à leur parti et qu’ils ne soupçonnaient pas qu’ils seraient rattrapés, trois (03) mois plus tard par l’actualité liée au complot judiciaire contre l’opposant Ousmane Sonko.
Face à l’indignation légitime suscitée par cette affaire au sein des masses, le pouvoir de Macky Sall a fait le choix, non pas du retour aux fondamentaux de l’Etat de droit pour calmer les tensions mais plutôt celui de la répression qui s’est soldée par près d’une centaine de morts, des milliers de blessés et des milliers de prisonniers dans les geôles du régime devenu de facto une dictature.
Face à cette situation, les animateurs de la plateforme Dooleel n’ont pu se résoudre à l’indifférence, surtout qu’il semblait que l’option de Macky Sall était non pas le dialogue en vue de sortir de la crise, mais la répression assumée des citoyennes et des citoyens, qui ne faisaient rien d’autre qu’exercer leurs libertés fondamentales.
Proposant de sortir de la logique du tout-répressif pour un véritable dialogue à travers une concertation nationale délibérative, les animateurs de Dooleel n’ont été écoutés ni par la direction de leur parti, ni par le pouvoir de Macky Sall.
Mais malgré la répression, la détermination du peuple à aller jusqu’au bout pour le triomphe de la révolution démocratique, dont la lame de fond était visible pour tout observateur sérieux, n’a fait que se renforcer.
Sanctionné lors des élections locales de janvier 2022 et législatives de juillet de la même année (soit six mois d’intervalles), le pouvoir BBY n’a pas retrouvé pour autant le bon sens en tirant les leçons de ce désaveu démocratique. Au contraire, il n’a fait que renforcer la violence institutionnelle contre le Pastef, ses leaders et ses militants, mais au-delà contre toute voix dissidente opposée à la violation des droits fondamentaux des citoyens et à un troisième mandat de Macky Sall.
Contraint toutefois de renoncer à une candidature à un troisième mandat, Macky Sall essaiera de le faire payer à Pastef et à son leader Ousmane Sonko, grand favori de l’élection présidentielle, qu’il réussira à éliminer de l’élection présidentielle, en s’appuyant ouvertement sur des juges à sa dévotion, qui se sont soustraits de leur obligation de ne se soumettre qu’à la loi.
Mais décidé de son côté à en finir avec Macky Sall et avec son régime, Ousmane Sonko désigne son numéro 2 Bassirou Diomaye Faye comme candidat de substitution pour porter le « projet » que Pastef avait vendu aux Sénégalaises.
Elu triomphalement dès le 1er tour, l’élection de Bassirou Diomaye Faye traduit le triomphe de la révolution démocratique sur le système réactionnaire et de prédation.
Mais cette élection n’est pas une fin en soi. Elle ouvre plutôt, d’après les animateurs de la plateforme, la voie à d’importantes réformes institutionnelles pour refonder la République en vue de se prémunir définitivement de dérives très graves comme celles vécues sous Macky Sall.
Pr Oumar DIA, philosophe
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INTERVENTION DU PROFESSEUR NDEYE ASTOU NDIAYE
In fine, Genèse d’une révolution démocratique (2021-2024) n’est pas seulement un livre: c’est un manifeste politique, un document historique, un outil de formation militante et un appel à la renaissance intellectuelle.
« L’émancipation n’est pas un événement, mais un processus continu de rupture avec toutes les formes de domination ».
Partant de cette exigence formulée par l’un des penseurs majeurs de la lutte anticoloniale en Afrique, Amílcar Cabral, dans son Discours à l'ONU de 1972, Dooleel PIT-Sénégal, un groupe de militants croyant encore aux préceptes de départ du Parti de l’Indépendance et du Travail dans sa version originelle, se positionne dans un moment historique critique, marqué par l’épuisement intellectuel et moral des élites politiques postindépendance, l’effritement de la légitimité des institutions représentatives, une désillusion croissante vis-à-vis du modèle de démocratie, une déception d’un régime qui manque à ses promesses électorales les plus primaires.
Je ne vais revenir sur le découpage de ce recueil : Genèse d’une révolution démocratique 2021-2024. Trois ans de lutte et d’espoirs.
Dans ce contexte de délitement, où l’horizon collectif semble obstrué par la reproduction des privilèges, la dépendance structurelle à l’aide internationale, la domestication du politique, la nécessité de repenser en profondeur les fondements idéologiques, stratégiques et historiques du projet de transformation sociale porté par le Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), s’imposait avec acuité.
Mais naturellement, ce mouvement politique jadis formateur, producteur d’idées novatrices, libératrices, n’échappa pas au projet de Macky Sall réduisant l’opposition à sa plus simple valeur et détournant tout parti politique de ses principes fondateurs.
D’où l’installation de l’espace de réflexion Dooleel PIT-Sénégal, qui se propose comme une tentative de réactivation de l’imaginaire émancipateur de la gauche sénégalaise, dans sa veine panafricaine, anticoloniale et populaire.
Et donc, il ne s’agit pas d’une simple réaffirmation mémorielle, mais d’un effort critique pour rompre avec l’ordre néocolonial — dont les formes contemporaines sont aussi économiques (via l’aide conditionnée, la dette, les accords de partenariat asymétriques) qu’épistémiques et symboliques — et pour formuler une alternative politique enracinée, souveraine et socialement juste avec une perspective progressiste, comme relevé dans l’ouvrage à la page 183.
Ce travail de refondation théorique et pratique s’inscrit dans une généalogie militante, mais aussi dans une confrontation intellectuelle avec les limites de l’héritage postcolonial. Il s’agit de repenser le projet du PIT non pas comme vestige d’un passé révolutionnaire, mais comme levier d’un futur post-libéral, post-néocolonial et fondé sur une un projet de transformation sociale porté par Pastef-les patriotes et ancrée dans les luttes des peuples.
Et donc ce collectif de militants, d’intellectuels engagés se présente comme un lieu de reconstruction idéologique et stratégique du Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), en rupture assumée avec l’effacement progressif des partis de gauche dans le champ politique sénégalais et plus largement ouest-africain.
L’histoire du PIT-Sénégal est intimement liée aux combats anticolonialistes, aux luttes ouvrières et à la critique des structures de domination issues de la colonisation. Inspiré des traditions tiers-mondistes, le parti a longtemps représenté une voix dissidente face au pouvoir dominant de l’Union progressiste sénégalaise puis du Parti socialiste.
Néanmoins, à partir des années 1990, dans le sillage de la libéralisation politique et des transitions démocratiques pilotées par les bailleurs internationaux, le PIT a opéré une mutation stratégique: participation à des coalitions gouvernementales, modération des discours, insertion dans les logiques électorales. Cette évolution, interprétée par certains comme une nécessaire adaptation au pluralisme, a cependant été perçue par d'autres —comme une forme de renoncement idéologique, voire de cooptation.
Dooleel PIT-Sénégal piloté par Abdou Karim, Mohamed Lamine Ly, Pape Cissé, Thié Ndiaye, Félix Atchadé, Balla Moussa Fofana (je ne les citerai pas tous mon camarade Oumar s’en est déjà chargé), se donne alors pour tâche une refondation intellectuelle, en redonnant centralité aux idéaux de justice sociale, de souveraineté populaire et de transformation structurelle en soutenant la candidature de Bassirou Diomaye Faye aux élections présidentielles de 2024.
A travers ces différents textes de natures différentes, réunis dans cet ouvrage, il semble clair que ce groupe, cette scission questionnait le non-respect des conclusions des Assises nationales et un projet novateur. Il s’agit moins de réactualiser un corpus doctrinal figé, que de retrouver ce que Cornell West nomme une « tradition prophétique » de la gauche, capable d'articuler diagnostic critique et imagination politique. Cette ambition repose sur une lecture historique précise : la démocratie sénégalaise, bien que souvent vantée comme modèle, est minée par des formes de paternalisme étatique, de clientélisme enraciné et de captation oligarchique des ressources publiques, comme l'ont montré les travaux sur la « politique du ventre » ou ceux d'Achille Mbembe sur la postcolonie.
Dans cette perspective, Dooleel PIT-Sénégal ne se contente pas de dénoncer ; il propose un horizon de transformation à travers une série de textes qui forment autant d’interventions situées sur les crises contemporaines : crise institutionnelle, dérive autoritaire du pouvoir exécutif, subordination des politiques publiques aux logiques néolibérales, marginalisation des mouvements populaires, etc.
À la lumière de ces diagnostics, le cadre avance des pistes concrètes : retour à une planification stratégique démocratique, redéfinition de la souveraineté économique, renforcement des droits sociaux, promotion d’un État protecteur, ancrage d’un panafricanisme opérationnel et non incantatoire.
Ces propositions ne relèvent pas d’un programme électoral, mais d’un projet de société ancré dans les traditions critiques de la gauche, notamment les pensées de Samir Amin sur le développement autocentré, celles de Frantz Fanon sur l’humanisme révolutionnaire, ou encore les réflexions d'Amílcar Cabral sur la lutte comme acte culturel.
Dooleel PIT-Sénégal reprend ainsi la notion de croissance sans développement (Samir Amin) pour montrer comment les indicateurs macroéconomiques masquent une dépossession croissante des populations, tandis que les élites se replient sur des intérêts corporatistes et patrimoniaux.
En cela, il représente une tentative de repolitisation du champ intellectuel et militant, dans un contexte où les partis traditionnels, souvent réduits à des machines électorales sans boussole idéologique, semblent déserter le terrain des idées. Chaque texte de ce recueil est à la fois une prise de position et une invitation à la mobilisation collective, convoquant les savoirs critiques, les mémoires de luttes et les utopies concrètes, dénonçant aussi les dérives d’un homme politique et celles de son entourage pouvant aller jusqu’au coup d’État anti- constitutionnel, plongeant le Sénégal, dans je cite : « dans une catastrophe au conséquences imprévisibles. Et les auteurs continuent en relevant une expression que j’ai particulièrement aimé, la « vitrine est non plus seulement craquelée mais bel et bien brisée. », page 167 dans laquelle est cité Majmouth Diop du PAI.
Enraciné dans l’histoire du PIT, mais orienté vers l’avenir, Dooleel PIT-Sénégal assume pleinement une posture de radicalité critique, au sens où l’entendait Rosa Luxemburg : ne pas se contenter de réformes de surface, mais viser les causes profondes de l’aliénation, de l’injustice et de la domination. Cette radicalité n’est pas synonyme de dogmatisme : elle est, au contraire, ouverte aux interpellations contemporaines, notamment féministes, écologistes, décoloniales.
Ce recueil est donc bien plus qu’un simple document politique. Il est aussi question d’un appel aux réflexions continues autour des idéaux démocratiques sous-tendus par des principes et des valeurs bien ancrés. Raison pour laquelle, les auteurs de l’ouvrage reviennent sur les différents rappels adressés au secrétariat du PIT attirant l’attention sur la torpeur des instances du parti.
Et cet ouvrage, semble suivre la même logique telle une boussole pour les générations nouvelles, une matrice d’élaboration collective pour un avenir souverain, équitable et solidaire, dans lequel, s’étaient inscrits les fondateurs du PIT.
À l’heure où les crises multiformes — sociales, écologiques, institutionnelles, la guerre russo-ukrainienne, les conséquences encore visibles de la Covid-19 rendent les promesses du néolibéralisme intenables, Dooleel PIT-Sénégal réaffirme avec force que l’histoire n’est pas close et que d’autres futurs restent à inventer, à condition de renouer avec l’exigence de transformation radicale.
In fine, Genèse d’une révolution démocratique (2021-2024) n’est pas seulement un livre: c’est un manifeste politique, un document historique, un outil de formation militante et un appel à la renaissance intellectuelle. Si ce n’est déjà fait, je vous conseille de le découvrir. Il interroge notre rapport à l’histoire, notre capacité à transformer les crises en ruptures fécondes, et notre responsabilité collective à écrire une autre trajectoire pour le Sénégal et l’Afrique.
Mais il est aussi une piqûre de rappel pour le régime en place, l’invitant subtilement à ne pas tomber dans les dérives des politiques sortants.
C’est dans ce sens qu’il s’adresse aux militants aussi, aux penseurs, aux enseignants, aux syndicats et à toutes les forces vives qui refusent la résignation. Je commence avec Cabral vous me permettrez de finir avec lui en rappelant son assertion:
"La lutte ne s’arrête pas avec l’indépendance : elle commence."
Ndèye Astou Ndiaye
Docteur en sciences politiques
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