NOSTRADAMUS SENEGALENSIS
NOSTRADAMUS SENEGALENSIS
Par Bassirou Selemane NDIAYE
Les progrès scientifiques et techniques nous ont dotés de connaissances et d’outils de plus en plus performants pour prédire le futur. Il ne s’agit plus de prédications de mages et d’astrologues relevant des faits souvent en dehors de notre humaine logique déductive, mais de certitudes basées sur des calculs de haute précision. Il n’en demeure pas moins que les prévisions reposent généralement sur des préalables dites « conditions normales » englobant l’existence de paramètres environnementaux directeurs dont l’espace, le temps ... et le facteur humain.
C’est justement le facteur humain qui est le principal biais dans les entreprises de prévisions. L’Homme a en effet la capacité de favoriser, d’empêcher ou de retarder tous les processus, naturels ou anthropiques. Ainsi, les crises politiques, économiques et sociales ne se produisent jamais telles qu’annoncées. Les crues et les tempêtes sont de moins en moins dévastatrices, les affrontements sociaux et les épidémies moins dramatiques.
Cette capacité humaine à agir sur les principaux paramètres directeurs est proportionnelle à son influence sur chaque prévision. L’Homme dispose de moyens légaux et illégaux pour s’opposer radicalement à l’avènement de faits politiques économiques et sociaux.
Si la direction d’un véhicule sur une route nous donne une indication certaine de sa prochaine destination, il reste évident qu’un homme peut l’arrêter, le dévier, le ralentir et même l’empêcher d’arriver à destination. Ce n’est pas tout, car il faut une volonté humaine et une capacité avérée pour le maintenir dans la direction indiquée pour franchir les immanquables obstacles multiples, naturels ou du fait d’une autre volonté.
Il est donc évident que la volonté d’un groupe d’hommes et de femmes (quelle que soit par ailleurs sa proportion numérique) disposant de moyens, est à mesure d’imposer un nouveau cap à l’évolution d’une nation et à son histoire. Il peut favoriser des transformations sociales, juguler une crise, perpétrer des coups de force pour s’opposer à un changement, politique pourtant jugé à maturité.
Prédire l’avenir des sociétés humaines peut dès lors être perçu comme la lecture de faits à travers une des faces d’un prisme. Loin d’une prophétie, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une alerte, une balise dans un océan d’incertitudes pour attirer l’attention des acteurs vers une évolution plausible … si les conditions du moment (facteurs directeurs) persistent en l’état.
Que nous réserve donc le futur de Ndoumbélane ? Avec quelle précision peut-on faire des prévisions sur son évolution en rapport avec sa classe politique ? A moyen terme cette question pose aussi l’avenir de nos dirigeants actuels et de leurs rapports avec les populations, pour ne pas dire le peuple.
Que l’on veuille bien l’admettre ou non, le pouvoir issu des élections de Mars 2012 n’a rien de clanique. Il réunit toutes les familles politiques économiques, sociales et idéologiques de Ndoumbélane. Force ou faiblesse d’une démocratie, il repose en tout cas sur une base sociale très large, même si c’est une base sociale moins affective, non partisane, insoumise et avide de résultats immédiats.
Cette base sociale se singularise d’ailleurs par sa stature de mise à l’épreuve des états majors politiques qui ont dans l’urgence concocté en moins d’une semaine la grande coalition qui nous gouverne alors qu’ils se sont montrés incapables de le faire durant douze longues années de négociations.
Il en résulte une absence d’opposition politique, entendez un regroupement d’hommes et de femmes neufs, porteur d’un projet nouveau de société. A la place, ceux qui ont revêtu l’habit comme une camisole de force se singularisent par l’existence de deux pôles sans dénominateur commun :
- D’un côté, les mouvements périphériques plus souvent néophytes dans l’exercice de la chose publique. Leur action devrait être inscrite sur le long terme (ce qui n’est pas toujours le cas),
- De l’autre une famille constituée de « recalés politiques » qui refusent de revoir leur copie et des nostalgiques de pratiques que l’histoire a déjà condamnées.
ü Les mouvements périphériques sont des mutants, des mouvements hybrides politico-religieux qui refusent d’assumer leurs conditions de schisme vis-à-vis de grandes confréries religieuses et des partis politiques traditionnels. Sortis de leurs flancs, ils s’en réclament tout en revendiquant une spécificité pas toujours explicite. Installés aux périphéries, ils semblent avoir choisi généralement d’évoluer sur le terrain de la morale. C’est une usine qui ne manquera certainement pas de matières premières pour fonctionner à plein régime, tant les scandales en tous genres font profusion. Mais ne produit-il pas que des semences alors que Ndoumbélane réclame du pain hic et nunc ? Même s’ils sont en phase politique avec une société qui se veut puritaine, le discours sur la morale n’éclaire pas sur les interrogations économiques de nos concitoyens. Partagé par tous les courants de pensées, le discours moral se heurte à des pratiques passées et présentes en rendant suspects tous ceux qui l’utilisent.
ü Le clan des « recalés politiques non repentis» et des nostalgiques ne fait plus recette. Il n’est d’ailleurs pas homogène même s’il réunit d’anciens compagnons dont :
- Les brigands: ils ont accumulé des fortunes colossales dans leurs terriers à l’ombre de l’Empereur. Arrogamment assis sur les fruits de vol et de recel de biens sociaux, ils écrasent l’éthique en s’adossant sur « le droit » fait par eux et pour eux pour couvrir tant de forfaits qui crèvent nos yeux.
- Les matelots : bons viveurs, ils se sont contentés de plonger leurs groins dans la soupe bleue en avalant tout ce qui était à leur portée. Brusquement sevrés, et sans économies substantielles pour traverser l’hiver qui risque d’être long, ils rêvent d’un retour pour une nouvelle pratique, moins puritaine à coup sûr, mais plus sécuritaire.
- Les chiens de garde : ce sont les « témoins vertueux » (par nature ou par conviction), ayant assuré la sécurité des maitres qui se partageaient la chair de Ndoumbélane en rongeant les os et les morceaux délaissés. Eux aussi se moquent de leur naïveté passée et voudraient bien une seconde chance pour faire leur vie autrement.
C’est ce qui nous amène à penser que ce pouvoir tel que structuré, est fatalement condamné à faire un long bail avec Goorgorlu. Mais ce sera un bail trouble, et il devra s’y préparer car l’idée de le contraindre à satisfaire les revendications légitimes des citoyens est plus répandue que celle de le remplacer par un autre. Il recevra sporadiquement aux consultations intermédiaires des gifles. Il faut plutôt les interpréter comme des manifestations d’humeurs sans importance dans la logique d’une alternance programmée. Les rôles et les responsabilités des uns et des autres au sein de la coalition peuvent changer, mais l’idée d’un divorce est peu vraisemblable, en tout cas pas raisonnable d’autant que chaque formation est consciente de son incapacité à gouverner seule.
Y’en a marre des discours ! Y’en a marre des promesses ! Y’en a marre surtout des alternances semblables à un défilé de modes où c’est tantôt les mêmes mannequins qui défilent avec d’autres habits, et tantôt d’autres mannequins avec les habits de leurs prédécesseurs. Tel est le mot d’ordre sourd qu’envoient les concitoyens de Goorgorlu. L’état de notre économie, les grandes contradictions au sein de l’administration résultant des frustrations multiples, la strangulation des énergies privées, bref l’héritage bleu se manifestera invariablement sous la forme d’un chapelet d’aspirations légitimes mais impossibles à satisfaire, du moins dans le court et moyen terme.
Comment seront interprétés et quelle stratégie pour contenir les inévitables assauts autrement qu’en position d’adversaire ? Quel impact auront-t-ils sur la solidarité de la coalition ? La coalition pourra-t-elle faire face aux éventuels mouvements sociaux sans se disloquer ?
La réponse sera sans doute dans sa composition du moment, des tendances de son évolution, mais surtout des réponses apportées aux actes criminels de dilapidations des biens sociaux.
- Idéalement, la coalition actuelle devrait être considérée comme une sélection nationale où cohabitent les meilleurs issus de différentes formations œuvrant pour un objectif commun. Ceci ne devrait donc pas empêcher le désir légitime de chaque formation de se renforcer. Mais la base sociale de la coalition rend ténue la sphère de recrutement. Potentiellement, il ne reste à enrôler que dans le camp des recalés politiques, et plus spécifiquement des gros bras ayant déjà trempé dans la sauce du pouvoir bleu. Une telle opération ne manquera certainement pas de créer des grincements de dents. Déjà, des tendances lourdes se dessinent. Malgré la relative sérénité des uns et des autres, on a l’impression d’assister à une bataille de tranchées. Comment expliquer en effet la campagne de débauchage entreprise par le camp du Gladiateur dont la principale cible est le camp des « recalés politiques non repentis» ? Comment ne pas comprendre le malaise des compagnons actuels de lutte ? Si une telle opération a pour but de trier la graine de l’ivraie dans les rangs de ceux qui se disent de l’opposition, qu’elle soit la bienvenue. Si elle est perçue comme une manifestation stricte d’élargissement de la base sociale de sa formation, elle est inutile et inopportune, d’autant qu’elle ne fait appel qu’aux membres de son ancienne famille politique, des hommes et des femmes au passé négativement chargé.
- L’absence de solidarité face à une frange du pouvoir en charge d’un secteur en ébullition va engendrer des frustrations partisanes, et toute critique positive ou négative basée sur les origines des acteurs peut déboucher sur des reflexes d’autodéfense et de suspicion.
- Une impunité totale ou partielle des auteurs de pillage en règle de nos économies accumulées après tant d’années d’effort et de souffrance rendrait impossible toute idée de sacrifices au profit des générations futures. La banalisation des crimes économiques, l’éventualité d’une impunité accordée aux auteurs dont les butins ont servi ou pourraient servir de rampe d’accès au pouvoir politique, risque profondément d’émousser le patriotisme de nos concitoyens. « Golo du bay, baabun dunde »
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